27 juin : BLOOM demande au Parquet européen d’enquêter sur les fraudes massives de la pêche industrielle néerlandaise

Alors que s’ouvre aujourd’hui à Lisbonne la Conférence des Nations Unies sur l’océan, BLOOM dépose un signalement au Parquet européen et demande l’ouverture d’une enquête judiciaire. Ce signalement s’appuie sur les révélations [1] de BLOOM et de Médiapart sur le système de fraudes massives aux subventions publiques qui a été orchestré par les pêcheurs industriels en complicité avec l’État néerlandais lors de la crise sanitaire liée à la COVID-19.

Menée par BLOOM et Médiapart, l’enquête sur l’allocation des aides COVID aux Pays-Bas a pour origine une alerte des pêcheurs français suspectant une importante fraude aux subventions publiques de la flotte de pêche industrielle néerlandaise. Les résultats de notre étude sont sans appel : ils montrent que plus de 95% des navires néerlandais ayant reçu une subvention COVID ont triché à divers degrés et ont indument perçu 5,8 millions d’euros entre le 15 mai 2020 et le 3 décembre 2020. La complicité du gouvernement néerlandais envers sa flotte de pêche industrielle est flagrante : d’une part, l’État a arbitrairement exclu la petite pêche artisanale (navires de moins de 12 m) de son dispositif d’aides, d’autre part, il a fermé les yeux sur les fraudes commises par les navires qui n’ont pas respecté les critères d’attribution des subventions fixés par les Pays-Bas.

Pour la première fois, BLOOM utilise le nouvel instrument judiciaire que le Parquet européen représente pour les citoyens. Actif depuis le 1er juin 2021, le Parquet a pour prérogatives de « rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». [2] Il est possible que le signalement de BLOOM constitue la première affaire de fraude aux intérêts financiers de l’Union en matière de pêche industrielle qui soit portée devant le Parquet.

« La création du nouveau Parquet européen est une formidable opportunité pour BLOOM de demander l’intégrité et l’équité du financement public de la pêche. Les outils dépendants de la Commission européenne tel que l’Office européen de lutte antifraude se sont révélés inaptes à dépasser leurs conflits d’intérêts internes et à mettre fin à la corruption, aux abus ou au trafic d’influence dans le secteur de la pêche » [3] soulignait Laetitia Bisiaux, chercheuse chez BLOOM et co-autrice de l’étude. Le Parquet européen nourrit en effet l’espoir d’une organisation intègre et dotée de pouvoirs importants depuis la nomination à sa tête de la magistrate roumaine anti-corruption Laura Codruța Kövesi en tant que procureure générale. [4]

En ce jour de l’ouverture de la Conférence des Nations unies sur l’océan, notre enquête questionne la volonté réelle des États, derrière les affichages politiques, à agir contre les crises du climat et de la biodiversité et à « se mobiliser, créer des solutions et les mettre en œuvre pour réaliser les 17 objectifs de développement durable à l’horizon 2030 ». [5] « La complicité du gouvernement néerlandais, l’absence de transparence et la fraude systémique des industriels doivent être condamnées. Les deniers publics ne doivent servir qu’à une chose : la transition rapide du secteur de la pêche vers un modèle à échelle humaine et au service de la reconstitution des écosystèmes marins et des économies littorales », plaidait Frédéric Le Manach, directeur scientifique de BLOOM et également co-auteur de l’étude.

Par le biais de son signalement, BLOOM espère l’ouverture d’une enquête et un assainissement rapide des pratiques frauduleuses des industriels et leurs réseaux politiques.

Ces pratiques nuisent aux écosystèmes, aux pêcheurs et en la confiance que les citoyens portent en nos démocraties.

Pour aller plus loin

Face à la crise sanitaire et économique provoquée par la pandémie de COVID-19, l’Union européenne a modifié en avril 2020 certaines règles du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP, 2014-2020) afin de débloquer rapidement des aides aux arrêts temporaires pour le secteur de la pêche. [6]

Ce type d’aide visait à indemniser les pêcheurs contraints de rester à quai — c’est-à-dire sans pêcher — en compensation de leur perte de chiffre d’affaires. La Commission européenne a ainsi proposé le 2 avril 2020 de modifier le règlement FEAMP, et ces mesures ont été adoptées par le Parlement et le Conseil de l’Union européenne le 23 avril 2020 sous la forme du règlement (UE) 2020/560, entré en vigueur deux jours plus tard. Suite à ces modifications au niveau européen, il était ensuite du ressort de chaque État membre de décider des critères d’attribution de ces arrêts temporaires.

En 2021, BLOOM avait déjà analysé les aides COVID allouées au secteur de la pêche en France et montré que les entreprises les plus puissantes et les pratiques de pêche les plus destructrices (comme le chalut de fond, la drague, et la senne démersale) en étaient les principales bénéficiaires. [7] Cette situation était directement le résultat des critères d’attribution discriminatoires instaurés par le gouvernement français, que BLOOM avait d’ailleurs dénoncés dès leur publication.

Notre nouvelle étude concerne cette fois l’allocation des aides COVID aux Pays-Bas.  BLOOM connait bien les pratiques néfastes des lobbies et pouvoirs publics néerlandais pour l’environnement, les économies côtières et la démocratie, pour avoir notamment lutté pendant plus de deux ans pour obtenir l’interdiction de la pêche électrique, une méthode de pêche développée par les industriels néerlandais et déployée à échelle commerciale en piétinant le droit européen. Tout au long de sa campagne, BLOOM a identifié et exposé d’innombrables mensonges et tricheries des pêcheurs industriels néerlandais comme de leurs décideurs politiques. [8]

Notes & références
[1] https://bloomassociation.org/mediapart-fraude-subventions-covid/
[2] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eppo/  
[3] Seuls les États membres et la Commission européenne ont le pouvoir de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Avant la création du Parquet européen, BLOOM avait signalé une autre fraude aux subventions en 2018 à l’Office de lutte anti-fraude (OLAF). Notre plainte, malgré son bienfondé évident, avait été classée sans même que nous n’en soyons informés. Voir : https://bloomassociation.org/corruption-commission-olaf/
[4] Voir par exemple :  https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/07/31/les-defis-europeens-de-laura-codruta-kovesi-icone-de-la-justice-roumaine_5495134_3232.html 
[5] https://www.un.org/fr/conferences/ocean2022 
[6] Règlement (UE) 508/2014, disponible à : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A32014R0508
[7] 82,5% (soit 12,2 millions EUR) des subventions COVID ont été captés par des navires utilisant des méthodes de pêche destructrices. Par ailleurs, sept entreprises/groupes représentant uniquement 0,8% (53 navires) de la flotte française ont reçu 28,5% de l’ensemble des subventions. Notre publication scientifique est disponible à l’adresse suivante :  https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308597X21002815
[8]   Voir les rapports à propos des fraudes sur la pêche électrique : « main dans la main » : https://www.bloomassociation.org/en/wp-content/uploads/2018/06/electric-fishing-moral-corruption.pdf ou « au-delà de l‘illégal» : https://www.bloomassociation.org/wp-content/uploads/2020/09/au-dela-illegal.pdf 

Source