Aux ayatollahs de la chasse, par Aymeric Caron

Le patron de la Fédération nationale chasseurs, Willy Schraen sort un livre dans lequel il dit toute sa détestation de ceux qui remettent en cause sa passion, écologistes en premier lieu. Un positionnement qui bénéficie «d’inacceptables» relais politiques, selon l’écrivain Aymeric Caron.

Le chef des chasseurs français, Willy Schraen, sort un livre pour défendre sa passion et ses droits. A cette occasion, il vient de livrer à un hebdomadaire dominical une longue interview semblable à la déchirante plainte d’un animal agonisant. Car la chasse, c’est vrai, a du plomb dans l’aile. Et le faux chiffre de 5 millions d’adeptes, mis en avant dans l’article, ne trompe personne puisque les licenciés dépassent aujourd’hui à peine le million.

Dans l’entretien, Schraen dénonce d’abord le Référendum d’initiative partagée (RIP) en faveur du bien-être animal, initié par trois entrepreneurs français. Parmi les six mesures mises en avant figure en effet l’interdiction de la chasse à courre, du déterrage, et des chasses dites traditionnelles. Schraen est ulcéré que 129 parlementaires aient signé ce RIP. «Ils devraient se retirer de la politique», peste-t-il, évoquant un «déni de démocratie», avant de se demander aussitôt : «Si on doit diriger le pays à coups de référendums, à quoi sert la classe politique ?»

Avec ces derniers mots, Willy Schraen se tire une balle dans le pied (un stupide accident de chasse, sans doute). En effet, il nie la validité de la démarche référendaire au nom de la prédominance du rôle de l’élu. Or, en même temps, il dénie aux élus la possibilité d’exprimer leur opinion. En fait, on a compris : Schraen déteste tous ceux, politiques ou pas, qui remettent en cause son loisir obsolète, et la démocratie qu’il appelle à la rescousse est le dernier de ses soucis.

Bordel écologique

Alors forcément, Willy Schraen ne porte pas Barbara Pompili dans son cœur. Pensez donc : la nouvelle ministre de la Transition écologique a eu l’outrecuidance de lui annoncer la fin du cruel piégeage à la glu. «Jusqu’à preuve du contraire, c’est une pratique légale», se scandalise Schraen, qui semble tout ignorer du droit communautaire. En effet, comme le rappelle la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), le piégeage à la glu est illégal depuis l’adoption de la directive oiseaux par l’Union européenne (directive 2009/147) et sa transposition en droit français. La France a été récemment rappelée à l’ordre, et elle a jusqu’à début octobre pour faire cesser la chose. Barbara Pompili n’a donc rien décidé, elle exécute.

A ce sujet, explique Schraen, quelle erreur que d’avoir confié le portefeuille de l’écologie à une écologiste ! Selon lui, «il ne faut pas donner l’écologie aux écologistes ; à chaque fois c’est le bordel». Bien curieuse accusation. Certes, les chasseurs tuent chaque année dans notre pays plusieurs dizaines de millions d’animaux et déversent en Europe plus de 20 000 tonnes de plomb dans la nature, polluant ainsi les écosystèmes et occasionnant la mort d’un à deux millions d’oiseaux supplémentaires, selon les chiffres de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Cela ne les empêche pas de s’autoproclamer «premiers écologistes de France». Donc, d’après la logique de Willy Schraen, si on confiait l’écologie aux chasseurs, ce serait «le bordel» ? Le bordel, il semble surtout se trouver dans la tête de Monsieur Schraen. D’ailleurs dans la même interview, celui-ci se réjouit du fait que l’écologie «va s’essouffler», puis revendique sa «vraie vision écologique». Alors, écolos ou pas, les chasseurs ? Sans doute que ça dépend. Car il y a les bons écolos, et les mauvais écolos…

Citadins déconnectés contre représentants ruraux ?

Willy Schraen, ne reculant devant aucune malhonnêteté intellectuelle, tente ensuite, à plusieurs reprises, de faire des chasseurs les représentants officiels du monde rural. Certes, les chasseurs ne chassent pas en ville en principe. Mais Schraen semble n’avoir pas remarqué que de très nombreux opposants à la chasse habitent eux-mêmes la campagne, ou la fréquentent très régulièrement. Pierre Rigaux, éminent militant antichasse, est installé au milieu de la nature. C’est là qu’il reçoit régulièrement les menaces des chasseurs, soit lorsqu’il les croise sur les chemins, soit directement chez lui. Il y a quelques mois, l’un d’entre eux a déposé le cadavre ensanglanté d’un renard sur sa voiture. Le naturaliste Marc Giraud, vice-président de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) et autre célèbre adversaire de la chasse, vit lui aussi loin de la ville et connaît la ruralité mieux que personne. Moi-même j’ai grandi à la campagne, comme tant de citoyens qui ont la chasse en horreur et qui ne supportent plus que leurs forêts et leurs champs soient pris en otage par une minorité menaçante.

Non, les chasseurs ne sont pas les représentants de la ruralité, et leurs opposants ne sont pas des citadins déconnectés. Et les amoureux de la nature, de la campagne, des animaux et des arbres, refusent que les chasseurs prétendent les représenter.

Soutiens politiques

Mensonges, déformations, incohérences, rejet des processus démocratiques : tout cela n’aurait pas beaucoup d’importance si le porte-parole de la chasse en France ne bénéficiait pas d’une position médiatique et politique privilégiée difficilement compréhensible. Willy Schraen le rappelle lui-même : il appelle le président Macron directement quand il a besoin, il est chouchouté par le Premier ministre Jean Castex et par le président du Sénat, le chasseur Gérard Larcher. Et il bénéficie aujourd’hui d’un autre soutien au gouvernement : celui du ministre de la justice Eric Dupont-Moretti. Ce dernier aime la corrida, mais il est aussi un adepte de la chasse au faucon. L’avocat-acteur a donc accepté de signer la préface du livre de Schraen. Et il y confirme sa détestation des défenseurs des animaux, traités par sa plume de «fous», d’«illuminés», d’«intégristes», d’«extrémistes», d’«ayatollahs», tandis que leurs idées sont «intolérantes» et «absurdes». Une litanie d’insultes sans esprit qui surprend, tant elle révèle l’absence d’arguments du rhéteur médiatique, réduit ici au moins élégant des stratagèmes : la tentative primaire de décrédibilisation de l’adversaire.

Mais surtout, ces mots violents adressés aux militants du vivant sont indignes de la part d’un ministre, qui plus est pour celui d’entre eux qui est en charge de la chose juste. Ces propos sont d’autant plus inacceptables que l’écrasante majorité des Français en a, pour dire les choses clairement, marre de la chasse et des chasseurs. Tous les derniers sondages le confirment, notamment une étude Ipsos de 2018 qui montrait que seuls 19% des Français soutiennent encore la chasse, pratique jugée par l’écrasante majorité des citoyens «dangereuse pour eux», «cruelle pour les animaux» et «d’un autre âge». Interdire la chasse à courre ou le piégeage à la glu n’est donc qu’un impératif démocratique auquel il est inacceptable que des membres du gouvernement s’opposent. Et ce n’est qu’une première étape. Un jour, comme le propose le parti REV (Révolution Ecologique pour le Vivant), c’est la chasse elle-même qui sera bannie. C’est un ayatollah du respect de la vie qui vous le prédit.

 

photo : A Bayenghem-lès-Seninghem, dans le Pas-de-Calais, en novembre 2013. Photo Charles Platiau. Reuters