Baptiste Morizot : « L’humain peut jouer un rôle de diplomate auprès des autres êtres vivants »

Le philosophe Baptiste Morizot, qui mène des enquêtes de terrain sur les loups et les grizzlis, plaide pour de nouvelles « alliances » entre les hommes et les animaux.

Baptiste Morizot, philosophe et maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, s’intéresse à la relation des êtres humains avec les autres êtres vivants, en particulier les animaux. Il appuie sa réflexion sur des enquêtes de terrain nourries par du « pistage », qu’il s’agisse des loups en France, du grizzly dans le parc national de Yellowstone (Wyoming, Montana, Idaho) ou des vers du lombricomposteur. Dans Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant (Wildproject, 2016), il propose des pistes pour pacifier la relation entre l’humain et le loup. Dans Sur la piste animale (Actes Sud, 208 p., 20 euros), il mêle au récit de ses expériences de pistage une réflexion philosophique sur la modernité.

Pourquoi la question de notre rapport à l’animal intéresse-t-elle le philosophe que vous êtes ?

J’ai été formé par les arts et la littérature et je me suis ensuite orienté vers la philosophie de la biologie. J’ai très vite eu le sentiment que la « Nature », telle qu’elle était définie dans les sciences modernes, n’avait pas la richesse de signification que l’on peut trouver sous la plume d’écrivains néanmoins très férus de savoirs scientifiques, tels Aldo Leopold [au début du XXe siècle]ou Richard Powers aujourd’hui. Les sciences modernes ont véhiculé l’idée d’une nature homogène, régie par des lois mathématiques froides et abstraites, ce qui ne rend pas compte de la richesse du monde vivant, de l’intelligence qui l’habite, et de ses myriades de communications.

Dans quelle mesure questionnez-vous l’objectivité scientifique ?

Les sciences naturelles sont tenues de se plier à un langage qui objective leur sujet, ce qui produit un effet de violence : l’objectivation tend à tout transformer en matière inerte régie par des causes mécaniques. La conception opposée, c’est celle du poète qui interprète les signes de manière sensible, selon sa subjectivité. J’essaie, dans mon travail, de métisser les deux approches en distinguant, dans la démarche scientifique, ce qui est toxique de ce qui est émancipateur. Il ne s’agit pas d’être en rupture avec les sciences mais de les subvertir de l’intérieur. Je m’appuie sur des enquêtes rigoureuses, tout en faisant confiance à ce qu’il y a de prodigieux dans le vivant.

Votre réflexion philosophique s’appuie sur le pistage. De quoi s’agit-il ?

Nous avons l’habitude de ne voir la nature que de notre point de vue alors qu’elle est habitée par d’autres vivants. Leur présence et leur manière d’occuper les lieux peuvent être décelées par leurs traces. On peut, en se plaçant du point de vue de l’animal, décrypter sa manière de vivre et de communiquer. C’est ce que permet le pistage, qui consiste à être attentif aux signes, au réseau d’influences qui structurent le monde vivant. En étudiant les empreintes et les marquages, on peut tenter de décrypter la logique propre de l’animal et sa manière d’habiter le territoire, tissé à tous les autres. Les rochers où nous plaçons les balises de nos sentiers sont ainsi volontiers utilisés par certains animaux pour y placer des excréments qui servent, eux aussi, de marquages afin de communiquer avec les autres vivants.

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Propos recueillis par Catherine Mary dans Le Monde (des idées) daté 15 décembre