Ces chasseurs qui veulent moins chasser les cerfs…

La filière sylvicole estime que ces animaux, trop nombreux, dégradent une forêt fragilisée en Alsace, mais certains chasseurs refusent d’en tuer davantage.

Fin mars dans les Hautes-Vosges. Alors que le gibier se repose des longs mois de chasse, un drôle de ballet nocturne anime la forêt. Des véhicules tout terrain sillonnent les chemins. A leur bord, chasseurs et représentants de l’Office national des forêts (ONF) se relaient pour compter les animaux. L’opération, rendue difficile par leurs déplacements, devrait prendre plusieurs semaines. Mais il s’agit du seul moyen, selon le président de la Fédération de chasseurs du Haut-Rhin, Gilles Kaszuk, de mettre un terme au débat qui agite depuis des années les acteurs du milieu forestier en Alsace : alors que la sécheresse et les maladies fragilisent les arbres, quelle place faut-il accorder aux grands ongulés dans les Vosges ?

La filière sylvicole estime en effet que les cerfs sont aujourd’hui trop nombreux et qu’en broutant les pousses de sapin ou de chêne, ils empêchent la régénération du milieu. Une analyse contestée par les chasseurs, pour qui le grand gibier n’est pas responsable des difficultés actuelles de la forêt. « Il faut arrêter d’accuser le cerf de tous les maux. Ce dernier broute la forêt, mais il y rejette aussi des minéraux. L’exploitation forestière, au contraire, appauvrit un sol déjà pauvre », estime ainsi le président de la Fédération de chasseurs du Bas-Rhin, Gérard Lang.

Le débat a viré durant l’hiver à la bataille rangée, quand les préfets des deux départements ont voulu prolonger la saison de la chasse. Covid-19 et conditions météorologiques obligent, les objectifs de prélèvement étaient en effet loin d’être atteints. Légalistes, les chasseurs bas-rhinois ont accepté, à contrecœur, de ressortir leurs fusils.

Les tensions sont retombées

Dans le Haut-Rhin au contraire, leurs homologues ont refusé de tirer. L’affaire s’est soldée par l’organisation de chasses administratives, y compris de nuit, directement depuis les véhicules. Une mise sous tutelle assimilée à une déclaration de guerre. Depuis, les tensions sont retombées. « Le nouveau plan de chasse tient compte en partie de nos souhaits », reconnaît ainsi M. Kaszuk. Les opérations de comptage doivent notamment permettre d’ajuster le nombre d’animaux à prélever en fonction de la situation relevée sur le terrain.

« LE CERF N’EST PAS UN ANIMAL FORESTIER, IL EST CAPABLE DE TRANSFORMER UNE FORÊT EN LANDE EN L’ESPACE DE QUELQUES ANNÉES », RELÈVE RODOLPHE PIERRAT, DIRECTEUR ADJOINT DE L’ONF DANS LE GRAND-EST

Pour l’ONF cependant, l’équilibre forêt-gibier est loin d’être atteint. « En dix ans, la population de cerfs a doublé dans le Haut-Rhin. Or, le cerf n’est pas un animal forestier ; il est capable de transformer une forêt en lande en l’espace de quelques années », estime Rodolphe Pierrat, directeur adjoint de l’établissement dans le Grand-Est.

De nombreux systèmes de protection contre le broutage des cervidés ont déjà été testés. Le seul véritablement efficace consiste à réaliser des enclos. Un constat d’échec pour l’établissement, qui appelle les chasseurs à changer de culture. « Ils veulent avant tout voir des animaux, il leur en faut beaucoup pour que leurs invités soient satisfaits. Nous préférons nous inspirer d’anciennes pratiques », note M. Pierrat. L’ONF a repris des lots de chasse pour y tester la traque à l’affût. « On a ainsi démontré qu’une augmentation des prélèvements est possible et qu’elle ne nuit pas à la reproduction de la population et donc aux prélèvements futurs », conclut le responsable.

Peu de débouchés pour la viande de gibier

« Bien sûr qu’on aime voir des animaux, lui répond M. Lang. Après l’aurochs, l’élan, le renne, qui ont tous disparu, le cerf est le dernier de nos grands herbivores. On ne va pas le supprimer pour que l’ONF ne fasse pas de déficit. » Mais l’amour de la nature clamé par les chasseurs n’explique pas à lui seul le peu d’intérêt de ces derniers pour augmenter leurs prises. La réalisation des prélèvements se heurte en effet au peu de débouchés offerts actuellement à la viande de gibier.

« Avec la fermeture des restaurants, la disparition de l’évènementiel et la fermeture des frontières, des tonnes de viande ont été bradées ou offertes. Et les chasseurs n’ont pas envie de faire une centaine de kilomètres pour livrer leur capture », reconnaît M. Kaszuk. Des réflexions sont en cours pour élargir les débouchés de cette viande somme toute locale. La collectivité européenne d’Alsace a ainsi inscrit le sanglier au menu de ses cantines scolaires. La mesure a cependant déclenché l’ire de certaines associations environnementales ou de parents d’élèves.

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Ironie du sort, la Fédération des chasseurs du Bas-Rhin est affiliée à l’association Alsace Nature, elle-même favorable… à une meilleure régulation du cerf. « Aujourd’hui, la surdensité des grands herbivores empêche toute régénération de la forêt. A certains endroits, les sapins les plus jeunes ont trente ans ! », indique Francis Dopff, vice-président de l’association. Pour cet expert de la montagne vosgienne, la solution ne pourra être que commune.

Par Nathalie Stey 
Le Monde