Une trentaine d’éléphanteaux, capturés dans la savane puis détenus au Zimbabwe pour être envoyés dans des zoos, probablement chinois. Cette situation, encore légale mardi, vient d’être interdite par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages. Ses 183 Etats membres étaient réunis du 17 au 28 août à Genève, en Suisse, pour leur COP 18. Il aura fallu une lettre de personnalités telles Pamela Anderson, Brigitte Bardot et Judi Dench, envoyée à la Commission européenne, pour que l’Union décide de ne pas s’opposer à cette décision.

Initiée par les pays de la Coalition pour l’éléphant d’Afrique (CEA), la proposition 44.2 visait à restreindre le commerce de pachydermes vivants. Elle a survécu de justesse. Dimanche, l’UE s’apprêtait à suivre les Etats-Unis et une grande partie des pays du sud de l’Afrique en votant contre ce texte. Seulement, tous les Vingt-Huit, qui doivent voter en bloc, n’étaient pas accrédités. Une faille administrative qui a sauvé certains éléphants de la perspective d’une vie en captivité.

Léthargie et anxiété

Face à la pression publique, l’Union a finalement, en début de semaine, rouvert les discussions avec la Coalition pour l’éléphant d’Afrique. Son offre : voter «oui» à condition que ce commerce d’animaux vivants reste possible en cas de «circonstances exceptionnelles». «L’adoption de la résolution est la reconnaissance que les éléphants d’Afrique vivants devraient, sauf circonstances exceptionnelles, être exportés seulement vers des lieux de conservation dans leur habitat naturel, et non dans des zoos à l’autre bout du monde, se félicite Aurélie Flore Koumba Pambo, représentante du Gabon et de la CEA à la COP. Le bien-être physique et social de ces animaux est donc passé avant les considérations purement économiques. Le changement de position de l’UE a été déterminant pour ce vote.» Les éléphanteaux capturés dans la nature et transportés souffrent de traumatismes, dépression, léthargie et anxiété quand ils sont gardés en captivité. «L’ajout des dérogations exceptionnelles a été justifié comme nécessaire pour empêcher que des animaux capturés il y a longtemps dans leur milieu naturel, n’y soient réintroduits. Ils ne pourraient pas survivre», explique Donald Lehr, qui représente plusieurs ONG européennes de conservation à Genève.

La Cites a une longue histoire, source récurrente de tensions diplomatiques, avec les pachydermes. Pour les protéger, toutes les populations d’éléphants africains ont été classées, dès 1989, à l’annexe I de la Convention, ce qui interdisait totalement leur commerce, vivants ou de leur ivoire. Mais cette protection a été affaiblie en 1997 et 2000, au Botswana, en Namibie, en Afrique du Sud et au Zimbabwe car les mesures de préservation semblaient fonctionner. Seulement, vingt ans plus tard, le trafic très lucratif de l’ivoire pousse toujours les pachydermes africains vers leur disparition. En 1980, 1,2 million d’éléphants peuplaient le continent. En 2015, il n’en restait plus que 450 000, selon le Rapport sur le statut de l’éléphant d’Afrique. Les pachydermes des forêts subissent le plus lourd déclin, avec une perte de 60% des individus en dix ans, dont 20 000 dans le seul parc national de Minkébé, dans le nord-est du Gabon. La sous-espèce vivant dans les savanes serait aussi au bord de l’extinction dans certaines régions, comme dans le nord-est de la république démocratique du Congo, dans le nord du Cameroun et dans le sud-ouest de la Zambie.

En quelques années, le crime environnemental s’est hissé en tête des sources de financement des conflits, devant le trafic de drogue et d’être humains, d’après l’Atlas mondial des flux financiers illicites, publié en 2018 par Interpol. Les revenus qui en découlent ont crû ces dernières années pour représenter 64% du financement du crime organisé dans les pays fragiles ou près des zones de conflit.

«Blanchiment»

«Le CEA a pu contrer de manière efficace et coordonnée toutes les tentatives, émanant des pays d’Afrique australe, de rouvrir le commerce de l’ivoire», se réjouit aussi Aurélie Flore Koumba Pambo. La Zambie, le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe ont en effet tenté d’éliminer une partie des restrictions sur la vente de leur ivoire. Sans succès. En réaction, la Tanzanie, qui s’exprimait au nom de dix pays, a déclaré mercredi que «le temps est venu de sérieusement considérer si notre appartenance à la Cites présente des avantages significatifs». Une déclaration qui semble devoir rester à l’état de menace.

Au sein de l’Union, acheter et vendre de l’ivoire est toujours légal, sous certaines conditions. «Les marchés de l’UE et du Japon, les plus gros encore ouverts dans le monde, ont à nouveau fait l’objet d’intenses critiques lors de cette COP», relate la Gabonaise. Même si des déclarations encourageantes ont été faites par l’Union, souligne Loïs Lelanchon, chargé de programme sauvetage des animaux sauvages pour l’ONG Ifaw et présent à Genève : «La Commission et les Etats membres sont en train de rédiger des mesures pour encadrer plus strictement le commerce légal, et garantir qu’il ne permet pas le blanchiment de produits illégaux. Nous ne pouvons qu’encourager les Vingt-Huit à les mettre en place le plus vite possible.»

De leur côté, l’Australie et Israël viennent d’annoncer qu’ils fermeront leur marché début 2020, suivant l’exemple des Etats-Unis, de Singapour et de Hongkong. En 2017, la Chine, la France, le Luxembourg et le Royaume-Uni avaient fait de même, bien que des dérogations persistent.

Autre décision prise à la COP, tous les Etats avec un marché légal devront publier un rapport annuel sur leurs stocks d’ivoire et les efforts menés pour empêcher les dérives. Mais toutes ces avancées ne doivent pas cacher qu’une plus grande encore aurait pu être votée. Comme lors de la précédente COP, en 2016 à Johannesbourg, les pays de la CEA ont proposé de repasser tous les éléphants en annexe I, donc d’interdire totalement leur commerce. La proposition a été déboutée.

Aude Massiot/Libération 29 août