« Congrès mondial de la nature, une grand messe de plus ? » Par Carine Mayo, secrétaire générale des JNE

Après avoir été reporté deux fois, le congrès de l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) a été inauguré en grande pompe à Marseille par le président Macron le vendredi 3 septembre. Une occasion de braquer les projecteurs sur l’effondrement de la biodiversité, une question qui passionne bien moins les politiques que la relance économique ou les prochaines élections. Et pourtant, le constat des scientifiques est sans appel : près d’un million d’espèces sont menacées d’extinction. Une menace planétaire trop souvent ignorée, alors que notre vie dépend étroitement de cette nature que beaucoup d’entre nous ne connaissent plus.

Dans son discours, le chef de l’Etat a souligné la nécessité d’aborder conjointement la question du changement climatique et de la préservation du vivant dans les négociations internationales. Les décisions prises pour le climat devraient tenir compte de la nature. Une approche qui semble indispensable pour éviter de construire des parcs éoliens offshore sur des zones protégées ou mieux protéger les forêts qui font face à la demande accrue de bois énergie.

Après avoir rappelé que la France s’est engagée à protéger 30 % de son territoire d’ici 2030, le président a ensuite promis d’étendre à 5 % les aires marines fortement protégées en Méditerranée (contre 0,2 % actuellement). Mais vu la pauvreté des moyens alloués, on peut craindre que ce ne soit pas suffisant pour lutter contre la surpêche. Le nombre d’agents publics chargés de la protection de la biodiversité est en diminution depuis dix ans. Et ce n’est pas la création annoncée de 20 postes sur tout le territoire qui va changer la donne.

Enfin, le président de la République s’est engagé à mettre en œuvre une sortie accélérée des pesticides au niveau européen lorsque la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne en 2022. De quoi faire tousser les écologistes, alors que l’Etat vient de réautoriser il y a quelques mois l’usage de trois insecticides néonicotinoïdes. Pas convaincues par ces beaux discours, les associations Notre affaire à tous et Pollinis ont d’ailleurs décidé de poursuivre l’Etat en justice pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité.

Mais le congrès de l’UICN, c’est d’abord le grand rendez-vous des associations de protection de la nature, des représentants des Etats, des scientifiques, des entreprises… Tout un monde hétéroclite qui n’a pas les mêmes intérêts. Autant dire que sous des dehors policés, les débats sont intenses. Car l’enjeu est d’importance : il s’agit de préparer la COP 15 sur la biodiversité qui aura lieu en 2022 en Chine et décidera des actions à mener dans les années à venir.

Côté français, on s’oppose à l’introduction d’OGM dans la nature prônée par les Anglo-Saxons : arbres, moustiques génétiquement modifiés… Le Comité français de l’UICN souhaite aussi renforcer la protection des grands singes et la lutte contre la déforestation importée. Mais sera-t-il entendu alors que l’un des sponsors de l’événement n’est autre que Nutella, une marque qui contribue grandement à la déforestation à travers son utilisation d’huile de palme ? Ses membres ont également décidé de réaffirmer l’éthique et de repenser notre relation au vivant. Face à ceux qui veulent donner une valeur marchande à la biodiversité, il s’agit de rappeler que chaque être vivant a une valeur intrinsèque. Pour Patrick Blandin, co-auteur du manifeste L’avenir du vivant, nos valeurs pour l’action, l’UICN doit redevenir « un leader moral » et porter un message de paix, comme à sa création après la seconde guerre mondiale, car en protégeant la nature, on peut éviter des conflits. Mais la protection de la nature ne peut se faire au détriment des hommes. C’est le message qu’ont tenu à faire passer certains représentants des peuples autochtones réunis en marge du congrès autour de l’association Survival International. Pour eux, la mise en place d’aires protégées n’est rien d’autre qu’une forme de colonialisme vert qui les chasse de leurs terres et les prive de leurs droits ancestraux.

Et si le véritable espoir résidait dans la modification de notre rapport à la nature ? Apprendre à se sentir vivant parmi les vivants et à ne plus considérer la biodiversité comme un réservoir de ressources illimité devrait être l’objectif premier. Mais le modèle consumériste de nos sociétés a été peu remis en cause lors de ce congrès. Les membres de l’UICN préfèrent axer leur démarche sur les solutions fondées sur la nature : apprendre à ne plus en avoir peur et laisser l’eau s’écouler librement au lieu de renforcer des digues comme cela se fait en Camargue ou le long du Rhône, par exemple. De nombreuses solutions concrètes existent aussi pour permettre à chacun d’agir au quotidien, comme cela a été montré dans les espaces ouverts au public, notamment par l’un des membres de notre association, Jean-François Noblet.

Pour la douzaine de journalistes des JNE présente à ce congrès, cette rencontre a été l’occasion d’engranger une somme d’informations et de réflexions qui vont enrichir notre travail. Grâce à ce congrès, de nombreux articles, reportages à la télévision ou à la radio auront été produits. C’est sans doute bien insuffisant pour convaincre les citoyens, les décideurs, de l’urgence d’agir, mais c’est nécessaire. L’autre volet, primordial pour faire jaillir un changement de société consiste à restaurer notre lien à la nature. Apprendre aux adultes et aux enfants à regarder, sentir, écouter : c’est la mission des associations naturalistes. Un rôle indispensable dans une société de plus en plus urbaine.

Photo : une animation dans le parc Chanot lors du congrès de l’UICN à Marseille © Carine Mayo/JNE