Dans la Birmanie en proie à la guerre civile, le trafic d’espèces protégées explose

Oiseaux, pangolins, civettes, ivoire, peaux d’éléphants… Le WWF a identifié 173 espèces sauvages proposées à la vente sur Facebook dans le pays en 2021, dont 54 figurent sur la « liste rouge » des espèces menacées.

La pandémie et l’instabilité politique ont donné un sérieux coup de fouet au commerce d’espèces sauvages en Birmanie, à en croire un rapport publié début avril par la section Asie-Pacifique du Fonds mondial pour la nature (WWF). L’ONG a constaté dans ce pays un quasi-doublement du nombre d’animaux proposés à la vente sur Facebook en 2021 – près de 11 046 (dont 96 % d’animaux vivants) – par rapport à 2020, où une enquête similaire avait été menée.

La Birmanie, dont plusieurs régions sont des réservoirs de biodiversité, est déjà identifiée comme un hub pour le trafic d’animaux sauvages protégés : c’est le cas depuis des années de zones proches de la frontière chinoise, sous contrôle de milices armées âpres au gain. La plus célèbre de ces enclaves de non-droit est Mong La, dans le Triangle d’or, à la frontière avec le Yunnan chinois : cette ville de casinos et de maisons de prostitution, où tout se paie en monnaie chinoise, a longtemps proposé sur ses marchés des animaux vivants, mais aussi toutes sortes de produits provenant de fauves, d’ours ou de cervidés prisés pour leurs vertus prétendument curatives ou aphrodisiaques par les visiteurs chinois.

Or, le Covid-19 a quelque peu perturbé ces « supermarchés de la vie sauvage » : les frontières chinoises sont toujours fermées hermétiquement, du moins aux personnes, et le temps des passages clandestins de frontière est terminé. En outre, la Chine, dont le marché de Wuhan – au rôle toujours incertain mais qui a été mis en cause dans l’émergence de la pandémie – vendait plusieurs types d’animaux sauvages, a décrété, en 2020, une interdiction stricte de la vente, de la consommation et du transport d’animaux sauvages sur tout son territoire. Cette dernière restera en vigueur jusqu’à nouvel ordre.

Par ailleurs, le coup d’Etat militaire du 1er février en Birmanie a fait passer au second plan les efforts du précédent gouvernement, celui d’Aung San Suu Kyi, aujourd’hui emprisonnée, pour appliquer une nouvelle loi sur la protection de la biodiversité adoptée en 2018 et renforcée en 2020 avec un total de 90 espèces « complètement protégées ». Leur vente ou possession est lourdement sanctionnée – sauf pour un petit nombre dans le cadre d’un élevage encadré par des licences. Or, l’armée et la police sont aujourd’hui accaparées par la résistance armée contre le coup d’Etat qui a embrasé une bonne partie du pays. A quoi s’ajoutent la corruption et l’état critique de l’économie, propices à une recrudescence des trafics en tout genre, dont celui de drogue, mais aussi le commerce d’espèces rares.

Aucun effort de dissimulation

Dans ce chaos généralisé, Facebook, qui compte près de 30 millions d’usagers en Birmanie, est devenu l’outil de choix pour le trafic d’espèces sauvages, et ce, malgré le blocage du réseau par la junte militaire depuis la fin février 2021 : les enquêteurs du WWF ont vu chuter les offres jusqu’en avril 2021, avant que celles-ci ne regagnent vite le niveau d’avant la censure, grâce à l’utilisation d’outils de contournement comme les VPN (réseaux privés virtuels), pour le dépasser largement dans les mois qui suivent. « Les deux groupes Facebook ayant publié le plus de posts pour les espèces-phares – c’est-à-dire celles ciblées par les écologistes, dont les éléphants, les tigres, les pangolins, les ours et les calaos – ont été créés en avril, soit plus de deux mois après le début de la crise politique, et quiconque pouvait y entrer », note le rapport.

La surveillance de Facebook par le WWF participe d’une initiative lancée en 2018 par l’ONG avec les géants de l’Internet pour identifier et signaler les transactions portant sur des espèces protégées. Plusieurs centaines d’annonces, de comptes et de groupes ont ainsi été fermés par Facebook en 2020. Mais, constate l’ONG, les groupes d’échange signalés réapparaissent souvent sous d’autres noms. Les vendeurs d’animaux sauvages sur le Facebook birman ne font, en général, aucun effort pour dissimuler leur trafic, exhibant sur des photos leur « produit » et la manière dont il va être envoyé par coursier, souvent dans des cartons avec des trous quand l’animal est vivant.

Boom de l’ivoire et des peaux d’éléphants

L’enquête de l’ONG a répertorié 173 espèces sauvages en vente sur l’ensemble des posts Facebook identifiés en 2021 en Birmanie, dont 54 figurent sur la liste rougedes espèces menacées d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). 87 % des animaux proposés à la vente ont été identifiés comme arrachés à la vie sauvage, le reste semblant avoir été élevé en captivité. Si la majorité des animaux échangés sont des oiseaux, les mammifères – 22 % du total – ont vu leur nombre augmenter de 241 % en 2021 par rapport à 2020. Les pangolins et les civettes sont le plus souvent vendus vivants pour leur viande – malgré les risques qu’ils hébergent des coronavirus. Parmi les « produits » en forte demande, les enquêteurs ont noté l’apparition de nombreux articles issus de l’ivoire et des peaux d’éléphants – jusqu’alors très peu représentés en ligne.

Cette dernière catégorie constituait, en revanche, près de la moitié des articles issus d’espèces protégées vendues à Mong La lors de la dernière enquête du WWF dans cette enclave de la frontière sino-birmane, en 2019, précise au Monde Yoganand Kandasamy, responsable pour la région du Grand Mékong des crimes contre la vie sauvage au sein du WWF. L’enquête en question avait répertorié 12 000 « produits » au total en vente à Mong La.

photo : Un marché aux oiseaux de Bangkok, sur une photo non datée.