Dans les Pyrénées, «la présence de l’ours et celle des troupeaux sont compatibles»

Les éleveurs peuvent-ils coexister avec un plantigrade ? Depuis la mort par balles d’un animal début juin en Ariège, la question a pris une tournure dramatique. Mais certains agriculteurs affirment qu’il est tout à fait possible d’éviter les attaques de troupeaux.

«Parfois, on a l’impression que c’est écolos contre éleveurs. Mais c’est plus compliqué que ça.» Les éleveurs favorables à l’ours s’expriment peu dans les médias. Parce qu’ils sont peu nombreux ? Parce qu’ils préfèrent rester discrets ? Catherine Brunet, ancienne bergère, a longtemps travaillé avec ses troupeaux, proches du plantigrade. «On a réussi à cohabiter avec l’ours sans jamais avoir eu de problème, se remémore-t-elle. En 2007, j’ai repris seule la gestion des brebis, je les gardais en présence d’ours mais avec des moyens de protection.» Désormais retraitée, elle exerçait avec son mari dans la vallée du Vicdessos, en Ariège, le département où un ours de 4 ans a été retrouvé mort par armes à feu le 9 juin, près de la station de ski de Guzet-Neige, à 1 800 mètres d’altitude.

Cet acte de braconnage rare, qui fait l’objet d’une enquête de gendarmerie, d’une plainte de l’Etat et de vingt associations écologistes qui se sont déclarées ce mercredi, témoigne de la complexité de vivre au côté de l’animal. Et, cependant, tous les éleveurs et bergers ne sont pas contre sa présence dans les montagnes. Certains affirment même qu’ils peuvent travailler dans les estives, ces pâturages en altitude, sans être l’objet de prédations.

Des moyens de protection indispensables

Depuis dix ans, l’éleveur Olivier Maigre et sa femme Elise Thébault, bergère, travaillent en Béarn. Une zone jamais désertée par l’ours. Lorsqu’ils montent en estive dans la vallée d’Aspe, le troupeau de brebis qu’ils surveillent (environ 400 bêtes) est accompagné par au moins trois personnes et quatre patous, les chiens de dissuasion. Olivier Maigre sait que l’ours reste une menace pour ses bêtes. Après les avoir observées toute la journée, il les installe dans un parc fermé par des clôtures électrifiées durant la nuit. «Les subventions apportées par l’Etat facilitent la mise en place de ces dispositifs», souligne l’éleveur. En effet, depuis 2018, si l’on travaille dans un territoire où la présence de l’ours est avérée, les patous, leur nourriture, les clôtures et le gardiennage sont pris en charge à 80%.

Le couple de bergers Mireille Bonhomme et Marc Peyrusqué, voisins d’Olivier et Elise, travaillent dans les Pyrénées-Atlantiques depuis 1985. La moitié de l’année, ils partent avec leurs chèvres et leurs brebis près de Bedous et d’Etsaut. Ils gardent près de 1 000 bêtes. «Mon mari est sur l’estive avec deux patous et un employé. La nuit, il regroupe les animaux près de sa cabane avec les chiens, mais il ne les parque pas», précise Mireille Bonhomme. S’ils choisissent de ne pas enfermer les bêtes, c’est parce que le terrain pentu et caillouteux ne permet pas d’installer de barrières. Et puis, ils gardent toujours un œil sur elles. «Etre berger, c’est être avec les animaux en permanence dans la montagne.» Il est arrivé que l’ours s’approche des troupeaux mais les patous l’ont repoussé. «On n’a jamais été embêté», affirme la bergère.

Faire baisser le nombre d’attaques

Retraité depuis un an, le berger Christian Balthasar fonctionnait de la même manière que Catherine Brunet. En 2014, il est placé sur l’estive du Barestet en Ariège où l’ours causait beaucoup de dégâts, des brebis étaient fréquemment retrouvées mortes. Le berger était accompagné de quatre patous pour faire baisser le nombre d’attaques. «La première année, on est passé de 60 brebis tuées à 12», énumère Christian Balthasar. L’année suivante, il n’en a eu que 5. Lui aussi pratiquait le regroupement nocturne des brebis dans des parcs qu’il fermait «le plus tard possible le soir et ouvrait le plus tôt possible le matin». Le reste du temps, ses patous et lui gardaient un œil sur le troupeau. «En disant que ces méthodes fonctionnent, je ne cherche pas à nuire aux éleveurs qui ne la pratiquent pas, je veux seulement prouver que la présence de l’ours et celle des troupeaux sont compatibles», précise l’ancien berger.

Si pour certains bergers, l’adoption de ces dispositifs est évidente, il peut exister certaines hésitations à les installer. Il demeure la réticence à enfermer les bêtes la nuit, par peur qu’elles se nourrissent moins bien. Le surplus d’organisation administrative est lui aussi dissuasif, il faut penser aux formations des chiens, gérer les dossiers de subventions ou encore les contrats et salaires d’un employé supplémentaire. Pour certains, le problème est surtout financier. Même si l’Etat finance 80% de leur mise en place, le reste doit être payé par les éleveurs eux-mêmes.

«Ce n’est pas simple à mettre en place, parfois il va falloir diminuer les troupeaux, et passer de 400 bêtes à 200», prévient Catherine Brunet. Cette organisation demande beaucoup de temps et de moyens et n’est pas parfaite. «Il n’existe pas de risque zéro. On assume qu’on peut avoir des pertes, ça fait partie du métier. On fait tout pour que ça n’arrive pas», relativise Olivier Maigre. L’éleveur souligne qu’il est, malgré tout, beaucoup plus simple de se tourner progressivement vers ces méthodes que d’attendre le jour où elles deviendront obligatoires, si elles le deviennent. «Je suis assez optimiste pour l’avenir. Je pense que les jeunes qui commencent le métier en ayant toujours connu l’ours vont prendre les choses différemment.»

Lisa Noyal, Libération, 26 juin-12 août

photo : Huit bergers se relaient de juin à septembre pour surveiller quelque 1500 moutons et prévenir les attaques des ours dans le Pyrénées, le 24 juillet 2019. Photo Iroz Gaizka. AFP