Dans les Pyrénées, un préfet spécial ours traqué de toutes parts

Jean-Yves Chiaro a été nommé en novembre préfet délégué en charge des sujets liés à l’ours dans le massif pyrénéen. Alors que les acteurs, pro et anti, attendent des actes, ni réintroduction ni retrait ne semblent à l’agenda.

De Winnie à Petit Jean, en passant par Baloo, les ours ont toujours eu meilleure presse dans les dessins animés qu’aux confins des Pyrénées. Là-bas, le plantigrade est au cœur d’une bataille entre pro et anti qui dure depuis 1996, année des premières réintroductions de l’animal.

D’un côté, l’ours symbolise une biodiversité à préserver pour les associations environnementales, qui militent pour sa réintroduction. L’Office français de la biodiversité estime leur population dans le massif, entre les deux versants, à 64. De l’autre, il est perçu comme un redoutable prédateur par bon nombre d’agriculteurs et éleveurs, qui souhaitent son retrait. Ce dossier épineux est désormais entre les mains d’un nouveau préfet dédié uniquement à l’ours, Jean-Yves Chiaro. Une première en France.

Sa nomination a été officialisée le 23 novembre, soit trois jours après la mort d’une ourse en Ariège, tuée par un chasseur qu’elle a blessé. Pur hasard ou récupération de l’événement ? «Je ne sais pas si c’est une réaction de l’Etat à cette actualité, mais je regarde plutôt l’action que la nomination», tance auprès de Libération Christine Téqui, présidente PS du conseil départemental d’Ariège, connue pour ses positions plutôt anti-ours. Auprès de France Bleu, le 14 décembre, Jean-Yves Chiaro soutient que sa «nomination était actée bien avant l’accident dramatique de Seix».

Jusqu’alors, les questions liées au plantigrade étaient gérées par Etienne Guyot, préfet de région Occitanie et coordonnateur du massif des Pyrénées, qui délègue donc un gros morceau de son poste. «Un préfet de région a déjà des centaines de sujets à traiter, il ne peut pas se concentrer de manière forte sur l’ours», soutient Thierry de Noblens, membre de l’association France Nature Environnement des Midi-Pyrénées. Une nouvelle fonction qui peut donc illustrer «le fait que l’Etat prenne cette affaire plus au sérieux», veut espérer Alain Reynes, directeur de l’association Pays de l’Ours-Adet.

«On est arrivés à un point de non-retour»

Avant de s’emparer de ce très lourd classeur, Jean-Yves Chiaro a respectivement été sous-préfet de Millau, Castres et Vienne, soit aucune ville vivant près de l’ours. Doit-on le juger à son CV ? Pour Thierry de Noblens, «il va falloir qu’il apprenne». Il espère néanmoins que le fait d’être novice permettra à Jean-Yves Chiaro de ne pas être «pollué par les différents discours». En Ariège, l’un des départements où l’ours crapahute le plus, l’associatif dénonce «la complicité des élus» avec les éleveurs «qui sont en train de faire monter une ambiance pourrie» dans les villages.

Entre les éleveurs et les militants, l’échange est quasi inexistant. Clémence Biard, présidente des Jeunes Agriculteurs en Ariège, «boycotte depuis deux ans» les réunions. «Le monde agricole est dans un tel malaise, une telle colère, qu’on est arrivés à un point de non-retour», affirme-t-elle auprès de Libération. C’est pourtant la mission principale qu’a confiée Etienne Guyot à Jean-Yves Chiaro : rétablir le dialogue. Si ce dernier n’a pas répondu à nos questions, le service presse de la préfecture précise que l’objectif ultime de sa mission est «d’assurer l’équilibre nécessaire entre le développement du pastoralisme et la présence de l’ours, équilibre qui doit permettre à tous les acteurs de s’y retrouver».

25 % d’attaques en moins en deux ans

La réconciliation semble donc utopique, tant les positions restent antagonistes. «Nous, on voit notre territoire comme un territoire où l’homme est au centre, avec la présence de troupeaux pour prévenir d’une bonne biodiversité. Ce n’est pas quand il est ensauvagé qu’il y a une bonne biodiversité, estime Christine Téqui, la présidente du conseil départemental de l’Ariège. Je suis très claire, il faut en retirer.» Pour les anti-ours, la mise en place de mesures de protection des troupeaux (chiens de gardiennage, clôtures électrifiées…), largement subventionnées par l’Etat, ne suffit pas. «Beaucoup de secteurs de montagne ne sont pas protégeables car très extensibles, le regroupement des bêtes est difficile et peut prendre plusieurs jours», explique Clémence Biard.

Libération/Lucie Beaugé, 23 décembre