Dans les quartiers populaires, le «gramme de chardonneret plus cher que le gramme de cannabis»

Adulé pour son ramage comme pour son plumage, l’élégant passereau est traditionnellement convoité au Maghreb. Objet de trafics en France, l’espèce menacée a vu sa population s’effondrer au cours des dix dernières années.

C’est une petite palette emplumée sur laquelle un peintre poète se serait attardé : du rouge autour du bec, une pointe de jaune appliquée au bord des ailes, quelques touches de blanc sur une queue noire… Quant à son chant, il est si mélodieux qu’il aurait inspiré la musique andalouse. Ces atouts font son malheur : victime de trafics en tous genres mais aussi de la pollution et de la dégradation de son habitat, ce passereau protégé voit plonger ses effectifs de façon drastique depuis dix ans. Un effondrement estimé à 40%, selon le bilan publié le 3 mars par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui classe désormais le chardonneret comme espèce vulnérable.

Ses tourments ne datent pas d’hier. «Du fait d’une tradition ancienne, qui remonterait à l’époque du califat omeyyade [VIIe et VIIIe siècles], cet oiseau est particulièrement convoité en Afrique du Nord, surtout en Algérie, pays où l’on estime aujourd’hui que plus de six millions de chardonnerets vivent en cage, détaille Charlotte Nithart, de l’association Robin des Bois. L’immense majorité de ces oiseaux a été capturée dans la nature, ce qui a conduit à un effondrement des populations au Maghreb.» Seham Boutata, journaliste et documentariste, a consacré un ouvrage à la passion qui lie les Algériens à cet oiseau. Dans la Mélancolie du maknine (appellation algérienne du chardonneret), l’autrice raconte combien les vocalises de cet oiseau en cage hantent les villes d’Algérie, à tel point que certains qualifient le chant du chardonneret «d’hymne national».

www.liberation.fr/resizer/KRdqwoxJzVEWJKfK5byuGszwdYk=/1440x0/filters:format(jpg):quality(70):focal(660x381:670x391)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/LJ76JHKVPRBHBPQHYV6BW2BK54.jpg" media="screen and (min-width: 992px)" />www.liberation.fr/resizer/fxOXg-tWOcr_v-4-fSU48bglvD0=/1024x0/filters:format(jpg):quality(70):focal(660x381:670x391)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/LJ76JHKVPRBHBPQHYV6BW2BK54.jpg" media="screen and (min-width: 768px)" />www.liberation.fr/resizer/Ux0XzqDBxJPJEwajQ0M5Ibcv4FA=/768x0/filters:format(jpg):quality(70):focal(660x381:670x391)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/LJ76JHKVPRBHBPQHYV6BW2BK54.jpg" media="screen and (min-width: 0px)" />

Depuis combien de temps les trafics liés à ce passereau ont-ils gagné les quartiers populaires français ? Difficile à dire. Mais force est de constater, les attraits du chardonneret y ont éveillé des cupidités. «Un procureur m’a résumé ainsi la situation : le gramme de chardonneret vaut aujourd’hui plus cher, sur les marchés illicites, que le gramme de cannabis», raconte Eric Hansen, directeur de l’office français de la biodiversité (OFB) en Corse-Paca.

«Une transmission de génération en génération»

Deux régions semblent particulièrement touchées par ce braconnage : le nord de la France, où l’attrait pour le monde des oiseaux en cage s’inscrit dans une tradition ancienne, et le Sud. «Dans les communautés méditerranéennes, notamment originaires du Maghreb, ainsi que chez les Gitans d’origine espagnole, on assiste à une transmission de génération en génération de cet attrait pour le chardonneret. Des enfants reproduisent les schémas de leurs pères, explique Jean-Yves Bichaton, chef du service départemental de l’OFB des Bouches-du-Rhône. Au cours des deux derniers mois, nous avons eu à traiter au moins six affaires, rien que sur Marseille. Des jeunes sont capables d’attraper 60 chardonnerets en une seule matinée.»

Plusieurs centaines d’oiseaux seraient ainsi capturées chaque mois dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, souvent en milieu urbain : dans les quartiers populaires, sur des zones commerciales ou des friches industrielles, dans les parcs publics et même en centre-ville. Mi-janvier, deux braconniers ont été arrêtés à Marseille, à deux pas de la gare Saint-Charles. «Les chardonnerets sont, hélas, faciles à capturer, constate Eric Hansen, directeur de l’OFB en Corse-Paca. Il suffit de disposer de cages aménagées en pièges ou d’enduire des surfaces d’une glu vendue dans des drogueries. Pour des petits délinquants liés aux trafics de drogue, c’est une opportunité de gagner facilement de l’argent.» Selon l’OFB, un chardonneret serait proposé «en gros» environ 50 euros, puis revendu au détail aux alentours de 100 euros. Mais les spécimens produisant un chant exceptionnel ou arborant des couleurs remarquables se négocient plusieurs centaines d’euros.

«Un effet d’opportunité pour le braconnage»

Dans le Sud, les affaires s’enchaînent. Comme à Perpignan, où cinq chardonnerets en cage ont été retrouvés le 16 février, enfermés dans un box de la cité Diaz. «Cette mode s’est diffusée au-delà des populations liées depuis des générations à cet oiseau, souligne Charlotte Nithart. Devenu rare et donc cher, le chardonneret a généré un marché plus large ; il crée un effet d’opportunité pour le braconnage.» Un phénomène illustré à Montpellier, lors d’une enquête menée début février par la sécurité publique départementale de l’Hérault. «Nous avions mis deux délinquants multirécidivistes sous surveillance et les pistions sur un terrain vague», raconte l’enquêteur Kamel Bara. Là où les policiers s’attendaient à trouver de la drogue ou le butin de cambriolages, ils découvrent, interloqués, des oiseaux englués. «Ces deux hommes se sont révélés être passionnés par les chardonnerets, poursuit Kamel Bara. Le plus âgé en avait un tatoué sur son avant-bras et avait créé une page Facebook qui leur était consacrée. Quant au plus jeune, il avait été interpellé par le passé à Marseille avec des chardonnerets braconnés en Algérie. Tous deux gagnaient de l’argent avec leur passion. Mais ils avaient aussi formé au braconnage d’autres délinquants, pour qui ces oiseaux n’étaient qu’une source de revenus.»

par Sarah Finger / Libération, 12 mars 2021

photo : Plusieurs centaines de chardonnerets seraient capturés chaque mois dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, souvent en milieu urbain, pour être revendus illégalement (photo d’illustration). (Séverine Bignon/Office français de la biodiversité)