Des propriétaires vendéens s’engagent sur un siècle pour protéger la biodiversité sur leurs terres

En Vendée, un couple d’agriculteurs à la retraite a signé en juin une « obligation réelle environnementale » avec le Conservatoire d’espaces naturels Pays de la Loire. Le dispositif, encore relativement peu connu, vise à préserver la nature et la biodiversité de leurs 25 hectares durant quatre-vingt-dix-neuf ans.

Des cultures et des prairies entre 2 et 6 hectares, cernées de haies, de zones humides et de bosquets où pâturent sereinement une quinzaine de vaches limousines. Christian et Marie-Hélène Tanguy veillent, depuis leur installation en 1982 à la ferme de La Maison-Neuve située à La Ferrière, à une dizaine de kilomètres au nord-est de La Roche-sur-Yon (Vendée), sur un véritable écrin de biodiversité « garanti zéro produit phytosanitaire depuis 1995 ». Pour sanctuariser leur patrimoine, fruit de presque quarante années de labeur, le couple d’agriculteurs aujourd’hui à la retraite, a signé le 11 juin, une obligation réelle environnementale (ORE).

Cet outil juridique, encore peu connu du grand public, a été créé par la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016. Il permet à n’importe quel propriétaire foncier de s’associer avec un organisme protecteur de la biodiversité – public ou privé – afin de préserver la nature et la biodiversité de ses terres. L’intérêt majeur d’un contrat ORE selon le professeur de droit émérite Gilles J. Martin – à l’origine du texte de loi –, est qu’il « perdure même en cas de changement de propriétaire ».

L’obligation est en effet attachée aux parcelles et non aux personnes. « Les ORE marquent incontestablement une avancée dans le droit français, considère-t-il. Cela faisait plus de dix ans que nous travaillions pour l’introduction d’un mécanisme semblable à celui des servitudes de conservation de pays étrangers. »

Les époux Tanguy, eux, se sont associés pour quatre-vingt-dix-neuf ans – durée maximale renouvelable – devant le notaire avec le Conservatoire d’espaces naturels des Pays de la Loire. Contre leur promesse de ne pas utiliser de produits phytosanitaires, de ne pas labourer certaines parcelles, de ne pas altérer la pente de la vallée, de ne pas arracher les arbres ou les haies et de préserver les mares et les prairies, le conservatoire, lui, s’engage jusqu’en 2120, à contrôler le respect du contrat et à assurer le suivi annuel faunistique et floristique des zones boisées et humides.

« Souplesse et adaptabilité »

« L’idée de donner à la terre un statut nous a plu, indique Marie-Hélène Tanguy. Peu importe qui sera son prochain propriétaire, il sera soumis au même cahier des charges que nous. » Dans l’immédiat, leur héritage n’est pas menacé : leur fille et son mari ont repris l’exploitation avec la même vision d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Mais pour Christian Tanguy rien n’était écrit sur le long terme. « Lorsque vous vous êtes investis toute une vie pour faire du bio, pour protéger vos terres, ce n’est pas pour voir tous vos efforts réduits à néant par celui qui vous remplace et qui décide de sacrifier vos haies pour installer des poteaux destinés à la fibre », illustre-t-il.

Le couple insiste par ailleurs sur « la souplesse et l’adaptabilité du dispositif ». Là est toute la force des ORE, selon le juriste Gilles J. Martin. « Ce n’est pas un outil réglementaire classique, imposé d’en haut, mais bien un contrat qui, part du terrain, voulu et négocié par les intéressés eux-mêmes », commente-t-il.

Vanessa Kurukgy, chargée des ORE à la Fédération des conservatoires des espaces naturels (réseau national de droit privé accompagnant le déploiement du dispositif), opine : « Les contrats permettent de faire du sur-mesure. Chaque propriétaire s’engage selon la durée, les contreparties réciproques et les modalités de résiliation ou de renouvellement qui lui conviennent. Il n’y a pas d’ORE type. »

L’outil trouve donc pour elle « toute sa place parmi la panoplie d’outils juridiques qui participent à protéger les milieux naturels ». D’autant plus qu’en parallèle des engagements patrimoniaux comparables à celui des Tanguy, la loi prévoit également que « les ORE peuvent être utilisées à des fins de compensation » (écologique, notamment utilisées par les collectivités locales ou les entreprises).

Difficile de dire en revanche combien d’ORE patrimoniales ont été signées en France depuis 2016. Dans un rapport rendu au Parlement en janvier 2021, le gouvernement soulignait que l’essor de contrats signés apparaissait « limité », tout en rappelant que « l’absence de mécanisme de suivi de la signature de ces contrats » rendait « difficile l’existence d’une vision nationale de la mise en œuvre des ORE ».

« Tant qu’il n’y aura pas de vraie incitation fiscale, le dispositif ne décollera pas », explique Guillaume Sainteny, maître de conférences à AgroParisTech

Le ministère de la transition écologique note néanmoins « que les informations récoltées semblent montrer une accélération du dispositif depuis le début de l’année 2020 ». Une tendance dont peut aussi témoigner Vanessa Kurukgy, de la Fédération des conservatoires des espaces naturels, bien qu’elle reste relative. Chiffres à l’appui : « En 2019, les conservatoires d’espaces naturels avaient cosigné sept ORE patrimoniales dans les régions où ils sont présents, aujourd’hui on en décompte plus d’une vingtaine. »

Pour expliquer le recours encore limité aux ORE, plusieurs hypothèses sont avancées par le gouvernement dans son rapport : tout d’abord, un temps d’appropriation de l’outil par les différents acteurs (notaires, maîtres d’ouvrage, sociétés foncières, associations, etc.) ; des difficultés pour les ORE « de trouver leur place au sein d’un paysage contractuel conséquent » et des particuliers qui ne disposent pas toujours de l’expertise nécessaire. Pour le professeur Gilles J. Martin, c’est aussi une question de culture. « Les ORE ne s’inscrivent pas dans la tradition française d’un droit qui vient d’en haut et qui s’impose aux citoyens. Là, le législateur propose un outil aux citoyens, qui doivent s’en emparer pour participer directement à la protection de la biodiversité. »

Autre frein mis sur la table : les craintes de certains propriétaires « au sujet de la possible perte de valeur du bien immobilier ». Pour Guillaume Sainteny, maître de conférences à AgroParisTech, l’inquiétude serait plus précisément liée au fait « qu’il y ait des contraintes dans l’usage du terrain et que ces contraintes ne soient compensées par rien ». Ce qui lui fait dire que « tant qu’il n’y aura pas de vraie incitation fiscale, le dispositif ne décollera pas ». Il s’appuie, ici, sur l’étude de plusieurs expériences de servitude de conservation à l’étranger : « On s’aperçoit que le succès de chacune tient en grande partie au régime fiscal qui l’accompagne. »

En France, la loi prévoit tout de même que les communes puissent exonérer de taxe sur le foncier non bâti les terrains sur lesquels une ORE a été conclue. Mais « il ne s’agit là que de facultés et les communes elles-mêmes ne sont pas toujours au courant de cette possibilité », rappelle le spécialiste.

« Pour les générations de demain »

Deux autres mesures, préconisées par le rapport, sont depuis entrées en vigueur (exonération de contribution de sécurité immobilière et possibilité étendue d’exonérer de taxe foncière les propriétés non bâties aux établissements publics de coopération intercommunale). Elles ne suffiront toutefois, pour Guillaume Sainteny, à convaincre davantage de propriétaires, notamment ceux qui tirent des revenus de leurs grandes parcelles – forestières ou agricoles.

« D’une part, certains sylviculteurs peuvent déjà bénéficier d’exonérations sur le foncier non bâti, explique-t-il. D’autre part, dans le cadre d’un bail rural, les propriétaires de terres agricoles qui souhaitent signer une ORE sont obligés de solliciter l’accord préalable de leur exploitant. » Le ministère indique qu’un atelier réunira tous les acteurs concernés en octobre « pour identifier les bonnes pratiques et développer la promotion des ORE ».

Chez les Tanguy, l’intérêt du dispositif est déjà tout trouvé. Préserver des espèces protégées et des écosystèmes est suffisant en soi. « On ne fait pas ça pour nous, mais pour les générations de demain. Quoi de plus riche après tout ? Plutôt que de l’argent, nous leur léguons une nature préservée. »

Carole Sauvage (La Ferrière (Vendée), envoyée spéciale)
Le Monde