« Éleveurs ou loups, le gouvernement doit choisir » : nos associations répondent NON !

Le 26 mai 2023, La Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté, trois des principaux syndicats agricoles de la région (FRSEA, JA, CR) et une dizaine d’autres organisations ont fait publier un communiqué de presse intitulé “Éleveurs ou loup : le Gouvernement doit choisir”. Par ce biais, les auteurs entendent convaincre l’État français d’autoriser un recours plus systématique aux tirs de Loups, sous prétexte que la cohabitation avec le grand prédateur serait impossible, le tout en vantant les prétendus bienfaits d’un modèle agricole productiviste en partie responsable de la crise écologique et climatique en cours. De telles affirmations n’ont évidemment aucun fondement scientifique et, par le biais du présent document, nous entendons rétablir quelques faits.

1. Non, les tirs de défense ne sont pas “le moyen le plus efficace pour assurer la protection des troupeaux” (sic). Au contraire, des études ont montré que ces derniers, risquant de déstructurer les meutes, menaient souvent à plus d’attaques, soit l’effet inverse de celui escompté. De nombreuses mesures alternatives à ces tirs sont susceptibles d’être mises en place et ont fait leurs preuves dans bien des territoires, à l’instar de la Suisse avec la surveillance des troupeaux proposée par Oppal. Côté français du massif jurassien, ses homologues FERUS et Vigie Jura viennent de lancer leur programme qui a reçu un accueil très favorable du grand public. Côté FERUS, plus de 70 écobénévoles se sont manifestés et, après un stage de formation, sont prêts à intervenir auprès des éleveurs volontaires.

Parmi les autres moyens à envisager figurent naturellement les clôtures (à hauteur et voltage suffisants) et les CPT (chiens de protection des troupeaux), mais aussi les aides bergers formés dans les lycées agricoles (proposition récemment soumise au Ministère de l’Agriculture), les colliers anti-loups, etc. Plutôt que de réclamer le droit de pouvoir tuer plus facilement les Loups, les auteurs de ce communiqué ne devraient-ils pas demander à l’État qu’il daigne subventionner certaines de ces mesures de manière plus préventive et systématique pour tous les types d’élevage (ovins, caprins, et évidemment bovins) ? Il est en effet incompréhensible, et profondément injuste pour les éleveurs, qu’il en soit autrement.

2. Non, contrairement aux grands prédateurs que sont le Loup et le Lynx, véritables “médecins de la forêt” garants d’écosystèmes en bonne santé, l’élevage extensif n’est pas de facto « remarquable de par la biodiversité qu’il engendre » (sic). Si l’élevage biologique, raisonné et basé sur l’agroécologie promu par la Confédération paysanne, est effectivement en capacité de bénéficier aux écosystèmes, il est malheureusement très loin d’être majoritaire en France. Force est de constater que notre région n’échappe malheureusement pas à la règle. Selon une étude de 2020 émanant de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, l’élevage local y serait le premier responsable de l’eutrophisation massive des cours d’eau, elle-même à l’origine d’une importante mortalité piscicole. En partie lié aux effluents des fromageries et à l’épandage excessif de fertilisants, ce phénomène n’est pas le seul à poser problème. La destruction des haies, le grignotage des forêts, la fauche excessive et précoce des prairies nuisant aux oiseaux et insectes pollinisateurs, la destruction des affleurements rocheux par les casse-cailloux, etc., sont également et tristement monnaie courante dans la région.

En définitive, l’élevage tel qu’il est majoritairement pratiqué dans notre région, aussi extensif soit-il, reste un élevage fondamentalement productiviste. Loin d’être vecteur de biodiversité, il figure indubitablement parmi les responsables de l’érosion massive du Vivant n’épargnant pas notre territoire. À l’aune de ces phénomènes et à l’heure où une étude du WWF présente l’élevage mondial comme étant à lui-seul responsable de 60% des pertes de biodiversité terrestre, affirmer le contraire revient à faire preuve d’un remarquable cynisme.

3. Non, l’élevage productiviste, encore une fois largement majoritaire dans la région, est par définition incapable de “façonner et aménager harmonieusement et respectueusement notre territoire” (sic). En outre, il n’est absolument pas nécessaire à l’entretien des milieux ouverts. Ceux-ci, tout comme les espèces animales et végétales qui y évoluent, existaient bien avant l’arrivée du bétail. Ils pourraient parfaitement être entretenus par un élevage raisonné, ainsi que par les ongulés sauvages que nous pourrions, en présence de leurs prédateurs naturels, décider de moins chasser. Ce dernier point permettrait également au Loup de disposer davantage de proies, et donc d’être moins tenté de se tourner vers les animaux de rente.

Pourquoi ne pas assumer que le modèle agricole qui domine la région, animé par la course au profit, ne vise en réalité qu’à répondre à l’insatiable appétit de la population mondiale pour les produits provenant de l’élevage (viande, fromage, etc.), dont les scientifiques recommandent pourtant de baisser drastiquement la consommation ? La Cour des comptes ne vient-elle pas, par ailleurs, de recommander à la France de réduire la taille du cheptel bovin pour respecter ses engagements climatiques ? Enfin, comment prétendre que l’élevage régional a vocation à “garantir la souveraineté alimentaire” (sic), alors qu’une part non négligeable de sa production continue d’être exportée jusqu’aux États-Unis ?

4. Non, la cohabitation entre le Loup et l’élevage, débarrassé de ses penchants productivistes, n’est pas “réellement impossible” (sic). Bien que loin d’être toujours évidente, il n’est pas ici question de le nier tant la perte d’animaux peut effectivement être traumatisante pour leurs propriétaires, elle est une réalité dans nombre de territoires d’où le Loup n’a jamais disparu (Espagne, Italie, etc.). Elle l’est aussi en France, y compris en Bourgogne-Franche-Comté, où des hommes et des femmes ont à cœur d’y œuvrer en mettant en place les moyens de protection qui s’imposent.

Les problèmes auxquels font face les éleveurs de notre région (concurrence internationale, sécheresses, érosion de la biodiversité, etc.) sont bien plus profonds que la nécessaire cohabitation avec le Loup. Ne serait-il pas temps de s’y atteler plutôt que de pointer du doigt un animal faisant souvent office de parfait bouc-émissaire ?

Quoi qu’il en soit, le canidé n’a eu de cesse de se développer depuis son retour dans l’Hexagone au début des années 90. Il continuera de le faire aussi longtemps qu’il aura à sa disposition les habitats et les ressources nécessaires. N’en déplaise à certains, cela est une excellente nouvelle pour la préservation des écosystèmes mis en péril par les activités humaines. Plus vite nous l’admettrons et cesserons d’entretenir les contre-vérités ici interrogées, plus vite nous pourrons agir et avancer vers une cohabitation bénéficiant au Loup, aux éleveurs, et à tout un chacun.