Il était une fois une petite source qui avait décidé de se rebeller

La Journée mondiale de l’environnement, vous parlez d’un événement ! Quelques bobos des villes auront une larme pour la Terre massacrée avant de s’engouffrer dans leur puissant SUV. J’aimerais plutôt vous parler d’une petite source nichée sur les flancs de la montagne de Bleine, au-dessus de la ville de Grasse (Alpes-Maritimes). Elle ne paie pas de mine. On n’a même pas cru bon de lui donner un nom. Elle coule nuit et jour, été comme hiver, depuis des siècles. Intarissable. Porteuse de vie depuis la nuit des temps. Et puis, un jour, les humains l’ont confisquée à leur seul usage. Son eau n’irriguait plus la nature, mais les maisons, pour finir dans les égouts.

La petite source aurait pu, comme tant d’autres, s’habituer à cette vie d’esclave. Mais l’espoir de vagabonder à nouveau sur une terre accueillante, de repousser la colonisation agressive des pins au détriment des feuillus, d’abreuver à nouveau une faune nombreuse et variée ne l’a jamais abandonnée. Seule, elle n’aurait rien pu faire. Mais un homme est venu à son secours. Il a commencé par acquérir les centaines d’hectares l’entourant. Puis il a déclaré la guerre à Suez qui exploitait la source pour le compte du Syndicat des Trois-Vallées. C’était le pot d’eau contre le pot de fer. Le combat judiciaire a été long avant de déboucher sur une grande victoire. D’après la loi, une source sur un terrain privé ne peut pas être confisquée au nom de l’intérêt général si l’eau ne manque pas par ailleurs. La Cour de cassation a donné sa bénédiction. C’était il y a deux ans et depuis la petite source irrigue à nouveau sa vallée pour y accomplir des miracles.

Des monstres bossus et le retour du cheval sauvage

L’homme, lui, a creusé quatre lacs et planté des milliers d’arbres et de plantes lacustres pour que la petite source puisse à nouveau régner sur un univers aquatique colonisé par des milliers d’oiseaux. Ce matin de juin, je me suis levé à l’aube pour écouter leur chant, assis sur une souche d’arbre. C’est l’heure de la baignade pour les bisons. Une vingtaine de monstres bossus accompagnés de leurs petits pataugent paisiblement dans l’eau. Certains restent immobiles se réchauffant aux premiers rayons du soleil, d’autres plongent le museau dans l’eau pour arracher des touffes de plantes aquatiques. Ces bisons d’Europe, l’homme est allé les chercher en Pologne ; là où ils survivent à l’état sauvage après avoir occupé toute l’Europe voilà de nombreux siècles. Les voici donc de retour chez eux.

Un peu plus loin, caché sous les arbres, quatre ombres attendent leur tour pour d’abreuver. Ce sont des femelles élans que l’homme a fait revenir voilà quelques mois. La petite source se souvient encore de l’époque lointaine où cette espèce buvait son eau à grands traits. Il faudra encore quelques mois pour que les quatre femelles se trouvent enfin à l’aise. Mais l’orgueil de la petite source, c’est le retour du cheval sauvage (le cheval de Pzréwalski) après des millénaires d’absence. Ce petit équidé qui figure sur les parois des grottes de Cro-Magnon et qui n’a jamais pu être dressé par les hommes. Aujourd’hui, le troupeau compte une cinquantaine de têtes. Issus de zoos, ils ont su parfaitement retrouver leur comportement ancestral. Ce matin-là, le mâle dominant a rassemblé ses nombreuses femelles dans un coin du domaine pour mieux se protéger des attaques de ses jeunes rivaux. Le retour de la grosse faune dans la vallée de la petite source a eu un effet salvateur pour la flore. Des centaines d’espèces, qui avaient disparu devant l’invasion des conifères, font leur retour. Cerise sur le gâteau, le loup est de retour.

Nouvelle menace judiciaire

Chaque année, ce paradis retrouvé engendré par la petite source fait la joie de milliers de visiteurs. Mais à nouveau l’orage gronde. Suez et le Syndicat des Trois-Vallées, indifférents à la cause environnementale, remettent le couvert en entamant une DUP pour récupérer la petite source coûte que coûte. Pourquoi une telle insistance ? Ce serait, dit-on, pour alimenter en eau les canons à neige de la station de Gréolière-les-Neiges toute proche. Une incongruité écologique, voire un crime ! L’homme a promis à la source qu’il se battra jusqu’à son dernier souffle pour préserver la Réserve des Monts d’Azur. À propos, cet homme se nomme Patrice Longour.