L’alarmante disparition des forêts tropicales

Selon le Global Forest Watch, le couvert forestier mondial a reculé de 24 millions d’hectares en 2019.

Les images d’arbres multiséculaires partant en fumée au Brésil ou en Australie avaient ému le monde entier en 2019. De gigantesques incendies avaient également ravagé la Sibérie, l’Arctique, le bassin du Congo ou la Californie. Au total, ce ne sont pas moins de 24 millions d’hectares de couvert forestier qui ont disparu en 2019, sous l’eet des feux, mais aussi des coupes à blanc ou des perturbations naturelles, selon le bilan annuel du Global Forest Watch, une plate-forme internationale de suivi des forêts menée par le think tank américain World Resources Institute (WRI).

D’après les chires publiés mardi 2 juin, les tropiques ont payé un lourd tribut, avec la perte de 12 millions d’hectares. Près d’un tiers de ce recul (3,8 millions d’hectares) est survenu dans les forêts primaires tropicales humides, qui jouent un rôle clé dans la régulation du climat, le maintien de la biodiversité et de la fertilité des sols. C’est l’équivalent de la perte d’un terrain de football de forêt primaire toutes les six secondes pendant un an.

Cette perte de forêts primaires tropicales est la troisième plus élevée depuis le début du siècle, après 2016 et 2017. « Ces niveaux sont inacceptables, tonne Frances Seymour, chercheuse au WRI. 2020 devait être l’année où l’on arrête la déforestation, mais on prend la direction opposée. » « Les forêts primaires sont les plus critiques du monde, car il faudra des décennies, voire des millénaires, pour qu’elles se régénèrent », ajoute Mikaela Weisse, responsable du projet Global Forest Watch.

Données satellites

Le Global Forest Watch, qui utilise des données satellites compilées par l’université du Maryland (Etats-Unis), n’observe pas la déforestation (suppression d’une forêt) mais la perte de couvert arboré, c’est-à-dire la disparition d’arbres dans les forêts naturelles et les plantations. Il ne tient en outre pas compte de la restauration ou de la régénération des arbres, de sorte que ses données ne sont pas une indication de changement net. D’où le fait que ses résultats dièrent fortement de ceux de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui évoque, dans son dernier rapport de mai, une déforestation (en perte brute) de 10 millions d’hectares par an en moyenne au cours des cinq dernières années à l’échelle mondiale.

« La FAO comptabilise la déforestation, c’est-à-dire la disparition d’un minimum d’un demi- hectare avec une couverture arborée d’au moins 10 %, tandis que le Global Forest Watch compte chaque arbre prélevé sur une surface de 30  » 30 mètres (0,09 hectare). Or, parfois, l’exploitation dégrade la forêt, mais cela reste encore de la forêt », dit Plinio Sist, directeur de l’unité forêts et sociétés au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. « Les chires du Global Forest Watch ont pour intérêt d’être issus d’une évaluation indépendante et d’être accessibles à tous, tandis que ceux de la FAO dépendent des données que les pays transmettent », poursuit le chercheur. Qu’il s’agisse de déforestation ou de perte de couvert arboré, les forêts tombent pour les mêmes raisons : pour être converties en terres agricoles, en pâturages ou en plantations industrielles (palmiers à huile, soja, etc.). Elles laissent également place à des exploitations minières, des infrastructures et des villes.

Selon les résultats du Global Forest Watch, le Brésil est à lui seul responsable de plus d’un tiers de la perte de forêts primaires tropicales dans le monde en 2019, avec un recul de 1,4 million d’hectares. Les coupes claires pour l’agriculture ont considérablement augmenté dans l’Amazonie brésilienne en 2019, notamment du fait de la politique du président Jair Bolsonaro. En revanche, et contrairement à la Bolivie voisine, les incendies ne sont pas la principale cause du recul des forêts primaires dans le pays, selon le Global Forest Watch. Le Brésil a bel et bien enregistré un nombre très élevé de feux, mais ils sont le plus souvent survenus dans des zones déjà dégradées ou partiellement déforestées.

La République démocratique du Congo est le deuxième pays le plus touché, enregistrant la disparition de 475 000 hectares de couvert arboré en 2019. Suit l’Indonésie, avec un recul de 324 000 hectares. Le pays connaît toutefois une amélioration, en enregistrant pour la troisième année consécutive une baisse de la perte de couvert arboré, sans doute sous l’eet d’un moratoire désormais permanent sur les défrichements pour les plantations de palmiers à huile et l’exploitation forestière, explique l’étude.

Les autres lueurs d’espoir proviennent du Ghana et de la Côte d’Ivoire, qui ont tous deux réduit la perte de forêts primaires de plus de 50 % en 2019 par rapport à l’année précédente, notamment suite aux engagements pris par les deux pays et les grandes entreprises de cacao de mettre #n à la déforestation et de restaurer les forêts. Après deux années de forte progression de la déforestation sur son sol, la Colombie a également enregistré un renversement de tendance en 2019, qui pourrait s’expliquer par les nouveaux objectifs du gouvernement de réduire la déforestation et de planter 180 millions d’arbres d’ici à 2022.

De nouvelles menaces

En dehors des tropiques, les incendies qui ont ravagé l’Australie entre la #n de 2019 et le début de 2020 ont entraîné une perte de couvert arboré massive dans le pays : 1,7 million d’hectares ont disparu, soit six fois plus qu’en 2018. L’impact réel des incendies est probablement pire, car les données de l’étude ne tiennent pas compte de ceux qui se sont poursuivis en 2020.

S’il est trop tôt pour indiquer les tendances mondiales de l’année en cours, les nouvelles sont mauvaises sur le front amazonien : la saison sèche laisse craindre « un nouvel été record d’incendies » et « la déforestation se poursuit à un rythme élevé », prévient Plinio Sist. La pandémie de Covid-19 entraîne en outre de nouvelles menaces pour les forêts, selon le Global Forest Watch. A court terme, celles-ci risquent de subir davantage de défrichements illégaux dans la mesure où les agents chargés du contrôle sont moins nombreux sur le terrain. A moyen terme, les pays pourraient être tentés de sacri#er les forêts a#n de stimuler leur économie au moyen d’industries extractives.

A#n de protéger à la fois les forêts primaires, « d’une valeur inestimable », mais également les forêts dégradées, qui abritent encore beaucoup de biodiversité, il est nécessaire de « revoir notre agriculture et de développer les plantations pour répondre à une demande en bois qui doit doubler d’ici à 2050 », estime Plinio Sist. L’écologue appelle aussi à mettre en place des programmes de restauration forestière pensés avec les populations locales. « Dans le passé, nombre de programmes de restauration forestière ont échoué faute de #nancements susants et en raison d’une gouvernance impliquant très peu les acteurs locaux », note-t-il.

« Malgré une meilleure prise de conscience face à la déforestation et l’adoption d’objectifs tels que la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, il manque toujours des mesures concrètes et réellement ecaces, comme des obligations légales, pour que les acteurs économiques cessent de produire ou d’importer des produits issus de la déforestation, juge de son côté Frédéric Amiel, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Il faut désormais davantage de volonté politique des gouvernements, sans quoi nous allons détruire les dernières forêts qui restent. »

Audrey Garric / Le Monde 03/06/2020

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Selon les résultats du Global Forest Watch, le Brésil est à lui seul responsable de plus d’un tiers de la perte de forêts primaires tropicales dans le monde en 2019, avec un recul de 1,4 million d’hectares. Les coupes claires pour l’agriculture ont considérablement augmenté dans l’Amazonie brésilienne en 2019, notamment du fait de la politique du président Jair Bolsonaro. En revanche, et contrairement à la Bolivie voisine, les incendies ne sont pas la principale cause du recul des forêts primaires dans le pays, selon le Global Forest Watch. Le Brésil a bel et bien enregistré un nombre très élevé de feux, mais ils sont le plus souvent survenus dans des zones déjà dégradées ou partiellement déforestées.

La République démocratique du Congo est le deuxième pays le plus touché, enregistrant la disparition de 475 000 hectares de couvert arboré en 2019. Suit l’Indonésie, avec un recul de 324 000 hectares. Le pays connaît toutefois une amélioration, en enregistrant pour la troisième année consécutive une baisse de la perte de couvert arboré, sans doute sous l’eet d’un moratoire désormais permanent sur les défrichements pour les plantations de palmiers à huile et l’exploitation forestière, explique l’étude.

Les autres lueurs d’espoir proviennent du Ghana et de la Côte d’Ivoire, qui ont tous deux réduit la perte de forêts primaires de plus de 50 % en 2019 par rapport à l’année précédente, notamment suite aux engagements pris par les deux pays et les grandes entreprises de cacao de mettre #n à la déforestation et de restaurer les forêts. Après deux années de forte progression de la déforestation sur son sol, la Colombie a également enregistré un renversement de tendance en 2019, qui pourrait s’expliquer par les nouveaux objectifs du gouvernement de réduire la déforestation et de planter 180 millions d’arbres d’ici à 2022.

De nouvelles menaces

En dehors des tropiques, les incendies qui ont ravagé l’Australie entre la #n de 2019 et le début de 2020 ont entraîné une perte de couvert arboré massive dans le pays : 1,7 million d’hectares ont disparu, soit six fois plus qu’en 2018. L’impact réel des incendies est probablement pire, car les données de l’étude ne tiennent pas compte de ceux qui se sont poursuivis en 2020.

S’il est trop tôt pour indiquer les tendances mondiales de l’année en cours, les nouvelles sont mauvaises sur le front amazonien : la saison sèche laisse craindre « un nouvel été record d’incendies » et « la déforestation se poursuit à un rythme élevé », prévient Plinio Sist. La pandémie de Covid-19 entraîne en outre de nouvelles menaces pour les forêts, selon le Global Forest Watch. A court terme, celles-ci risquent de subir davantage de défrichements illégaux dans la mesure où les agents chargés du contrôle sont moins nombreux sur le terrain. A moyen terme, les pays pourraient être tentés de sacri#er les forêts a#n de stimuler leur économie au moyen d’industries extractives.

A#n de protéger à la fois les forêts primaires, « d’une valeur inestimable », mais également les forêts dégradées, qui abritent encore beaucoup de biodiversité, il est nécessaire de « revoir notre agriculture et de développer les plantations pour répondre à une demande en bois qui doit doubler d’ici à 2050 », estime Plinio Sist. L’écologue appelle aussi à mettre en place des programmes de restauration forestière pensés avec les populations locales. « Dans le passé, nombre de programmes de restauration forestière ont échoué faute de #nancements susants et en raison d’une gouvernance impliquant très peu les acteurs locaux », note-t-il.

« Malgré une meilleure prise de conscience face à la déforestation et l’adoption d’objectifs tels que la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, il manque toujours des mesures concrètes et réellement ecaces, comme des obligations légales, pour que les acteurs économiques cessent de produire ou d’importer des produits issus de la déforestation, juge de son côté Frédéric Amiel, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Il faut désormais davantage de volonté politique des gouvernements, sans quoi nous allons détruire les dernières forêts qui restent. »