Le braconnage des éléphants d’Afrique en recul

Une étude montre que l’abattage des pachydermes est lié au prix de l’ivoire, mais aussi à la pauvreté et à la corruption. En dépit de cette baisse du braconnage, l’espèce reste en danger de disparition.

Les bonnes nouvelles sont suffisamment rares sur le front de la biodiversité pour être saluées. Surtout lorsqu’elles concernent un animal aussi emblématique que l’éléphant d’Afrique. L’étude publiée, mardi 28 mai, dans la revue Nature Communications, est donc à marquer d’une pierre blanche. Elle fait apparaître que le taux annuel de mortalité par braconnage des pachydermes a diminué de plus de moitié entre 2011 et 2017. Ce qui n’empêche toutefois pas l’espèce de rester en danger de disparition.

En 2016, un recensement d’ampleur inédite, le Great Elephant Census, avait révélé un effondrement de 30 %, en seulement sept ans, des populations africaines d’éléphants. De près de 500 000 individus en 2007, leur nombre est tombé à environ 350 000 en 2014. Cela, alors que le continent en comptait plus de 20 millions avant la colonisation européenne, et encore un million dans les années 1970. La faute au braconnage des grands mammifères, tués pour leur ivoire, mais aussi à la destruction de leurs habitats naturels.

Les auteurs de l’étude, issus des universités de Fribourg (Allemagne) et de York (Royaume-Uni), ainsi que du Programme des Nations unies pour l’environnement, ont travaillé dans le cadre du projet de surveillance de l’abattage illégal d’éléphants (Monitoring the Illegal Killing of Elephants), mis en place par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Entre 2002 et 2017, ils ont analysé 18 000 carcasses retrouvées sur 53 sites (principalement des zones protégées) de 29 pays d’Afrique subsaharienne, dont près de la moitié se sont révélées être celles d’animaux abattus illégalement.

Le braconnage, lié à la pauvreté et à la corruption

Le constat encourageant est que le taux annuel moyen de mortalité par braconnage, après avoir atteint un pic de 10,4 % en 2011, a chuté à 3,7 % en 2017. Pour autant, préviennent les chercheurs, « les populations d’éléphants d’Afrique demeurent menacées sans une réduction continue du braconnage ». Au rythme actuel, écrivent-ils dans un communiqué de l’Université de York, l’espèce est « en danger d’être effacée du continent », ne survivant plus que « dans des petites poches très protégées ».

L’intérêt de leur étude est aussi d’analyser les causes de l’évolution de l’intensité du braconnage. De façon globale, celui-ci est bien sûr lié au trafic de l’ivoire, en particulier sur le marché asiatique, qui constitue son principal débouché, non seulement en Chine, mais aussi en Thaïlande, en Malaisie, aux Philippines ou au Vietnam. La baisse, ces dernières années, des cours de l’ivoire brut – dont le kilo se négociait avant 2015 jusqu’à 2 000 dollars et qui ne vaut plus aujourd’hui que quelques centaines de dollars –, a contribué à faire chuter le nombre d’animaux tués pour leurs défenses. A l’origine de cette dépréciation, la décision de la Chine de bannir le commerce de l’ivoire sur son territoire depuis le 1er janvier 2018, même s’il est trop tôt pour évaluer l’effet réel de cette interdiction.

Mais les chercheurs notent des différences dans les taux de braconnage sur les différents sites étudiés, qu’ils expliquent par d’autres facteurs : le niveau de pauvreté (mesuré par la mortalité infantile et le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour) et le degré de corruption (estimé par un indice développé par l’ONG Transparency International, à partir d’enquêtes réalisées auprès d’hommes d’affaires et d’analystes). En clair, plus la pauvreté et la corruption sont importantes dans une région, plus le braconnage y est élevé.

« Complicités à des postes haut placés »

Pour sauver ce qui subsiste d’animaux emblématiques, il ne suffira pas de durcir les lois contre le braconnage, concluent les auteurs. Selon eux, « réduire la pauvreté et la corruption au sein des communautés voisines des aires protégées pourrait avoir un plus grand effet ».

« Cette étude confirme ce que l’on savait de façon empirique, à savoir que la criminalité à l’encontre des espèces sauvages prospère dans les pays où les populations sont démunies et la gouvernance défaillante, commente Céline Sissler-Bienvenu, directrice pour la France et l’Afrique francophone du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Le niveau du trafic est tel qu’il ne peut être que l’œuvre de réseaux organisés et puissants, bénéficiant de complicités à des postes haut placés. »

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A ses yeux, cette publication montre donc que « la coexistence entre les communautés humaines et la faune sauvage nécessite d’impliquer les populations locales dans la mise en place de mesures de conservation, mais aussi de permettre à ces communautés de vivre dignement ».

Pierre Le Tir/Le Monde, 28 mai 2019

 

 

photo : Près du parc national Kruger, en Afrique du Sud, le 12 avril. SIPHIWE SIBEKO / REUTERS