Le réchauffement climatique pourrait entraîner le déclin des gros poissons dans les océans

Dans les eaux du Pérou, l’anchois pourrait laisser place, d’ici à la fin du siècle, à des espèces beaucoup plus petites, selon une étude internationale publiée jeudi.

L’anchois péruvien est le poids lourd de la pêche marine mondiale. Dans les eaux du Pérou, ce poisson domine l’écosystème marin. Mais, d’ici à la fin du siècle, en raison du réchauffement climatique, cette espèce pourrait laisser place à d’autres, beaucoup plus petites, selon une étude publiée dans la revue Science, jeudi 6 janvier.

Le réchauffement climatique a deux conséquences majeures sur les écosystèmes marins. D’une part, la chaleur entraîne une diminution de l’oxygène présent dans l’eau. D’autre part, celle-ci booste le métabolisme des poissons, qui ont alors besoin de plus d’oxygène. Or plus les poissons sont gros, plus ils ont du mal à oxygéner les cellules situées au cœur de leur organisme. Dans des océans plus chauds, la taille des poissons a donc tendance à diminuer.

Face à ce constat, une équipe scientifique composée de chercheurs allemands, canadiens, américain, espagnols et français a proposé deux hypothèses : soit, face au réchauffement climatique, les individus d’une même espèce allaient voir leur taille diminuer ; soit on observerait un changement de communauté au profit d’espèces plus petites. « Jusqu’ici, il était impossible de déterminer laquelle de ces deux hypothèses était valide, explique Arnaud Bertrand, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et coauteur de l’étude, car la pression de la pêche provoque également ces deux phénomènes. Difficile donc, de faire la part des choses entre le climat et la pêche. »

Prolifération de petits poissons

Pour essayer de valider une des deux hypothèses, les chercheurs ont comparé la taille des poissons et les communautés présentes sur deux périodes distinctes, en utilisant comme écosystème modèle le courant de Humboldt, au Pérou. Ce courant est actuellement le plus productif au monde et représente environ 15 % des prises annuelles mondiales de poisson.

Grâce aux ossements de poissons fossiles retrouvés dans les sédiments marins, les chercheurs y ont tout d’abord étudié les espèces présentes durant la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 à 116 000 ans. A cette époque, les températures et les teneurs en oxygène au Pérou étaient similaires à celles prédites pour la fin du siècle. Puis ils ont analysé les écosystèmes de l’holocène, c’est-à-dire des 11 700 dernières années. « Bilan : lors de la dernière période interglaciaire, les individus d’une même espèce n’étaient pas plus petits, explique Arnaud Bertrand. Par exemple, les anchois avaient la même taille que durant l’holocène, de 12 à 19 centimètres. »

En revanche, selon les résultats de l’étude, cette espèce de poisson était anecdotique, alors que proliféraient des petits poissons de quelques centimètres, principalement des gobies qui ne mesurent pas plus de 5 centimètres de long et dont la population est aujourd’hui insignifiante. « Nous montrons donc que c’est la seconde hypothèse du changement de communauté qui semble valide, poursuit le chercheur français. Et surtout, que le réchauffement climatique peut provoquer des modifications drastiques et totalement imprévisibles des communautés au profit d’espèces de poissons aussi petits que les gobies, que ce soit au Pérou et sans doute ailleurs. Ce constat, nous-mêmes, nous ne l’avions pas vraiment envisagé jusque-là. »

La filière de l’anchois menacée

Ce changement risque d’avoir des conséquences majeures, selon les chercheurs. « Nous ne pouvons pas prédire précisément quand l’effondrement de la population d’anchois interviendra, explique Arnaud Bertrand, ni s’ils seront remplacés à coup sûr par des gobies, mais il est probable que tôt ou tard des espèces plus petites, sans intérêt alimentaire et socio-économique, vont proliférer. »

Et ce remplacement pourrait devenir une menace pour la pêche dans le monde entier. « Ces découvertes sont le dernier ajout aux preuves émergentes qu’un avenir plus chaud modifiera les communautés écologiques dans les océans tropicaux, qui affectent de manière disproportionnée les pays en développement, où la dépendance à l’égard de la pêche à petite échelle est particulièrement élevée », explique Moriaki Yasuhara, chercheur à l’université de Hongkong, qui n’a pas participé à l’étude.

Alors qu’aujourd’hui la filière de l’anchois péruvien représente 6 % de la pêche marine mondiale, très peu de ces poissons sont destinés à la consommation humaine. « Quatre-vingt-dix-huit pour cent des anchois péruviens sont transformés en farine destinée à des élevages de poissons et autres animaux partout dans le monde, ce qui contribue au réchauffement climatique, explique Renato Salvatteci, chercheur à l’université de Kiel en Allemagne et premier auteur de l’étude. Au vu de nos résultats, la filière industrielle péruvienne de l’anchois doit donc se réformer et utiliser l’anchois pour l’alimentation humaine directe. »

Clémentine Thiberge / Le Monde 6 janvier 2022

 

photo : Un anchois, dans les eaux portugaises.