Le sort d’un loup gris divise l’Allemagne

Avec d’un côté l’extrême droite, partisane de l’abattage des meutes, et de l’autre les Verts, défenseurs des loups, les partis de gouvernement se montrent prudents sur ce sujet clivant.

D’habitude, c’est quand l’un d’eux est abattu que les journaux parlent des loups. Cette fois, c’est le contraire : c’est précisément parce qu’il n’a pas été tué que GW717m a eu droit à des articles dans la presse allemande, et même à une dépêche de l’agence dpa, publiée le 1er avril sous le titre : « Coup de chance pour GW717m : la traque du loup de Rodewald a été suspendue ».

Afin de comprendre pourquoi cette affaire a retenu l’attention des médias allemands, une brève présentation du protagoniste est nécessaire. Outre-Rhin, chaque loup gris commun (canis lupus lupus) est identifié par les lettres « GW » désignant son espèce (Grauwolf), puis par un numéro auquel est accolé un « f » s’il s’agit d’une femelle ou un « m » si c’est un mâle. En l’occurrence, GW717m est un loup de sexe masculin bien connu autour de la petite commune rurale de Rodewald (Basse-Saxe), au nord de l’Allemagne, où une quarantaine de veaux, de moutons, de chèvres et de poneys ont eu le malheur de croiser son chemin.

Une sorte de mascotte

C’est justement ce gros appétit qui a valu des ennuis à GW717m. Sous la pression des éleveurs, le gouvernement du Land de Basse-Saxe a décidé, le 23 janvier 2019, d’autoriser son abattage, allant jusqu’à mandater une société de chasse pour qu’elle mette fin aux méfaits de ce loup vorace. Mais l’opération, qui a coûté 100 000 euros, n’a pas été couronnée de succès, et, au bout de quatorze mois de traque infructueuse, les autorités ont annoncé qu’elles renonçaient. « Nous avons échoué », a ainsi reconnu, le 1er avril, le ministre de l’environnement de Basse-Saxe, Olaf Lies, justifiant l’arrêt des recherches par le fait qu’aucune attaque de loup n’a été répertoriée en Basse-Saxe depuis juillet 2019.

Sans surprise, la nouvelle a été accueillie avec soulagement par les défenseurs des loups, qui avaient fait de « Roddy » – le nom qu’ils ont donné à GW717m – une sorte de mascotte. Mais ils n’en ont pas moins exprimé leur inquiétude en raison d’une nouvelle disposition de la loi fédérale sur la protection de la nature (Bundesnaturschutzgesetz), qui permet désormais aux autorités de délivrer un permis de tuer à l’échelle d’une meute dans son entier et non plus seulement de son chef. Autrement dit, s’il est décidé de traquer à nouveau GW717m parce que son ADN a été retrouvé sur le cadavre d’un animal d’élevage, n’importe quel membre de sa meute – et plus seulement lui – pourrait être abattu légalement.

Politiquement explosif

Cette affaire a rappelé à quel point le loup est un sujet sensible en Allemagne. Après avoir disparu du pays à la fin du XIXe siècle, celui-ci y est en effet réapparu au début des années 2000, en provenance de Pologne et des Pays Baltes, d’une part, et d’Italie, d’autre part. Depuis, il prolifère : 44 meutes étaient répertoriées en Allemagne en 2015, 105 en 2019. Au total, 1 900 loups vivraient aujourd’hui outre-Rhin, soit environ 500 de plus qu’il y a un an. Or cette croissance s’est accompagnée d’une augmentation très forte du nombre d’animaux d’élevage tombés sous les crocs des loups, qui a été multiplié par cinq entre 2014 et 2019.

Politiquement, le sujet est d’autant plus explosif que le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), très implanté dans certains Länder d’ex-Allemagne de l’Est où les loups sont particulièrement nombreux, a pris des positions très claires sur la question, comprenant l’intérêt qu’il pouvait en tirer auprès des éleveurs.

A l’occasion de plusieurs élections régionales récentes, l’AfD a ainsi imprimé des affiches et des tracts montrant des loups menaçants et réclamant un assouplissement de la législation afin qu’ils puissent être abattus plus facilement. En février, le parti d’extrême droite a de nouveau consacré un atelier de travail au problème du loup, afin de réclamer l’établissement d’un seuil (Obergrenze) au-delà duquel il serait possible d’abattre des loups quand leur nombre dépasse une limite fixée.

Les scores très élevés obtenus par l’AfD dans certains cantons ruraux particulièrement touchés par les attaques de loups expliquent l’attitude très prudente adoptée, aujourd’hui, par les partis de gouvernement, la CDU à droite et le SPD à gauche, tiraillés entre le souci de ne pas laisser l’extrême droite récupérer les adversaires du loup et celui de ne pas laisser aux Verts le monopole de la défense de cette espèce protégée.

De ce point de vue, le sort réservé à GW717m, objet d’un permis d’abattage avant d’en être finalement délivré quatorze mois plus tard, est tout à fait emblématique de ces hésitations dans une région où les partis au pouvoir (SPD et CDU) doivent concilier les contraires afin de ne pas fracturer leurs bases électorales, que la question du loup polarise de façon de plus en plus passionnelle.

Le Monde/18 avril