L’écologie, une idée dont l’heure est venue. Vraiment?

Ni le gouvernement ni les écologistes ne sont à la hauteur des enjeux environnementaux. De quoi rater notre entrée dans le monde d’après.

Le 6 mai dernier, Nicolas Hulot nous revenait du Purgatoire. L’ancien ministre, personnalité politique préférée des Français, a-t-il voulu distraire son ennui ou faire un nouveau tour en politique? Mystère, comme souvent avec le président d’honneur de la Fondation Nicolas Hulot. Certains éléments plaident pourtant en faveur de la seconde hypothèse.

Ce même 6 mai, 200 Beautiful People, signaient, toujours dans le quotidien gothique du soir, une tribune appelant «solennellement les dirigeants et les citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore.» Quelques pages plus loin, 9 personnalités diverses appuyaient les «100 principes pour un nouveau monde» de Nicolas Hulot. L’ancien animateur d’Ushuaïa assurant la promotion de sa campagne via un site internet et une longue interview dans la matinale de France Inter.

NOUVEAU GROUPE PARLEMENTAIRE

Cette opération de communication politique pourrait trouver des relais au Parlement. Une vingtaine de députés, déçus du macronisme, créent, ce mardi 19 mai, un neuvième groupe parlementaire. Regroupant des membres de l’aile gauche de La République en marche, comme Aurélien Taché (Val-d’Oise), Guillaume Chiche (Deux-Sèvres), Emilie Cariou (Meuse) ou Cédric Villani, et une élue écologiste, Delphine Batho (Deux-Sèvres), le groupe Ecologie démocratie solidarité sera co-présidé par Paula Forteza (députés des Français d’Amérique latine et des Caraïbes) et Matthieu Orphelin. Dans une autre vie, le député du Maine-et-Loire assurait le porte-parolat de la … fondation Nicolas Hulot.

Le peuple n’a pas été oublié.

Le 13 mai, les promoteurs de la plateforme Le jour d’après (dont Matthieu Orphelin) publiaient les résultats de leur consultation. Au menu, pas mal de mesurettes (adoption d’une loi Vegan ou d’une taxe Tobin), de grands principes (défiance vis-à-vis de la 5G; relocalisation de la production de produits de première nécessité) et d’idées force (lancement d’un Green Deal européen). Certaines de ces idées que pourraient être portées par les parlementaires de ce fameux neuvième groupe.

Voici donc lancé le grand véhicule politique hulotien. Cet objet politique non identifié (kite)surfe sur la vague de l’envie collective (mais supposée) d’un nouveau monde, de la recherche de l’homme providentiel et de l’urgence écologique. C’est par un «le temps est venu, ensemble, de poser les premières pierres d’un nouveau monde» que Nicolas débute la liste de ses «100 principes». Pourquoi sortir du bois maintenant?

OSSATURE D’UN NOUVEAU MONDE

En cette sortie de confinement, l’offre politique est nulle. Certes, écologistes et socialistes renouent le dialogue, avec la perspective des présidentielle à l’horizon. Mais point de projet de société à présenter à des électeurs qui pourraient être convoqués à des élections législatives anticipées, comme le laisse entendre à L’Express Stéphane Séjourné, président de la délégation française de Renew Europe au Parlement européen.

Parce que la pandémie de Covid-19 a été présentée par certains comme le fruit diabolique du réchauffement et du recul de la biodiversité, l’écologie constitue l’ossature naturelle d’un nouveau monde appelé de ses vœux par une majorité de citoyens. Est-ce si sûr? Les bons scores obtenus par les candidats se réclamant de l’écologie politique lors des scrutins européen et municipaux soulignent l’appétence d’une partie des électeurs pour un verdissement de la vie publique. Jusqu’à quel point : vert menthe-à-l’eau ou vert Véronèse ?

Une première réponse pourrait être apportée par le … gouvernement. Destinés à soutenir les secteurs les plus sinistrés par le confinement, les plans de relance, peu contestés, de l’administration Edouard Philippe sont plus proches du vert pâle (disons absinthe) que de l’émeraude.

Deux mesures ont marqué les esprits: la fin de quelques lignes aériennes intérieures et un soutien massif aux ventes de voitures électriques. Rien de prodigieux. Voilà des années que le groupe Air France-KLM cherche à restructurer son réseau court courrier, si possible en y intégrant ses filiales à bas coût. L’occasion est ainsi trouvée. Egalement très touchés par les effets de la pandémie, les constructeurs automobiles trouvent, eux aussi, les moyens d’accélérer l’électrification du parc français, mutation engagée depuis le Dieselgate.

FRACTURES ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES

Sommes-nous dans les clous d’un programme nous plaçant sur la trajectoire de la neutralité carbone ou d’un nouveau monde? On peut en douter. L’institut Jacques Delors a présenté, le 14 avril, l’esquisse d’un programme  d’investissement européen réellement compatible avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris.

Le think tank créé par l’ancien président de la Commission identifie 800 milliards d’euros d’investissements que l’UE peut réaliser d’ici à 2024 «sans risquer de se tromper», dans le bâtiment (500 milliards d’euros, avec une priorité pour les foyers en précarité énergétique et les écoles, pour accélérer le développement du marché et créer des économies d’échelle), la mobilité routière, l’innovation, l’économie circulaire (y compris la gestion des déchets et des eaux usées) et le tourisme côtier. Pour l’heure, la France n’a pas intégré dans ses projets de relance de mesures propres à réduire les fractures environnementales et sociales.

Pour aller plus loin, le Haut conseil pour le climat (HCC) proposait aussi que les l’attribution d’aides publiques aux secteurs émetteurs soient conditionnés par des engagements de décarbonation. Engagements qui pourraient être facilités par une relance de la taxation du carbone. L’institution chargée de conseiller et d’évaluer l’action climatique du gouvernement rappelant que l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 suppose de réduire de 7% par an nos émissions de GES. Un rythme de décroissance carbonique que nous atteindrons accidentellement cette année. Pour la première et dernière fois?

FAIRE REDÉMARRER LA MACHINE

Là est bien le problème. Partout, les gouvernements ont paré au plus pressé. Avec pour objectif principal: faire redémarrer la machine. «L’économie a été stoppée du jour au lendemain. Avec le déconfinement progressif, le défi est de la faire redémarrer le plus vite possible malgré les contraintes sanitaires», résume, dans les colonnes du Point, Luc Chatel, président de la Plateforme automobile. Nulle part, à l’exception de la Nouvelle-Zélande[1], l’on a renforcé l’investissement dans les technologies bas carbone, comme l’avait suggéré Fatih Birol, directeur exécutif de l’agence internationale de l’énergie (AIE).

Conséquence: le rythme de mise en service des énergies renouvelables décroit partout. Dans la région Asie-Pacifique, 150 GW de projets éoliens et solaires pourraient être annulés ou reportés de plusieurs années, estime le consultant Wood Mackenzie. Aux Etats-Unis, les entreprises du solaire et de l’éolien ont licencié 600.000 personnes depuis le début de la crise sanitaire.

Après avoir encaissé la plus brutale des crises de son histoire, l’industrie pétrolière devrait retrouver sa clientèle d’ici la fin de l’année, à l’exception, sans doute, du secteur aérien. Arc-boutant de l’activité minière et de ses cohortes de gueules noires, le secteur charbonnier devrait bénéficier de sérieux coups de pouce. «En Asie du Sud-Est, et pour réduire l’impact social de la pandémie, le charbon sera potentiellement moins affecté que les sources d’énergies renouvelables», estime Shirley Zhang, analyste chez Wood Mackenzie. Des financiers, à l’image de Andrew Affleck (Armstrong Asset Management, fonds d’investissement spécialisé dans les énergies renouvelables) estiment que de nombreux dirigeants asiatiques pourraient céder aux sirènes des banques chinoises, enclines à financer des centrales au charbon.

LE MÊME MONDE «EN UN PEU PIRE»

En un mot, comme en cent, le monde d’après ressemblera étrangement à celui d’hier. Celui qui nous promettait, estime le Giec, un réchauffement supérieur à 3 °C d’ici la fin du siècle. «Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde; ce sera le même, en un peu pire», résume, dans une lettre ouverte, l’écrivain Michel Houellebecq.

L’auteur d’Extension du domaine de la lutte ne croit pas si bien dire. En Chine, l’activité portuaire bat de nouveau son plein. Les exportations ont repris de plus belle. Depuis le 6 mai, le bureau de l’écologie et de l’environnement de la ville de Pékin exempte d’études d’impact environnemental les projets hôteliers, d’usines alimentaires ou de production de matériaux, les porcheries de plus de 5.000 cochons (10 sont déjà prévues !) Les photos des satellites le confirment : les nuages de pollutions qui s’étaient dissipés à la faveur du confinement tapissent de nouveau le ciel des mégapoles chinoises. Infernale, la machine repart.

Le retour à la normale verra-t-il de nouveau poindre à la surface, le désir d’écologie, l’envie d’un monde plus vert. Peu probable. «Dans de nombreux pays du monde, une grande partie de la population se sent profondément trahie par ses dirigeants. On peut donc dire que les endroits les plus touchés du globe seront ceux (comme Israël) où la crise sanitaire génère à la fois une crise économique et politique. La question sanitaire sera-t-elle à l’origine d’insurrections citoyennes à travers le monde?», s’interroge, dans L’Obs, la sociologue franco-israélienne Eva Illouz.

DOUBLE DÉFI

Cette question se pose avec plus de force dans l’Hexagone qu’ailleurs. En France, une série ininterrompue de crise depuis l’automne 2018 renforce la demande sociale. «Un double défi existe en France: donner des possibilités réelles de mieux s’en sortir aux classes les plus défavorisées ou aux classes moyennes qui ont le sentiment d’être coincées et réformer en profondeur le modèle démocratique. La crise des Gilets jaunes et le Grand débat national ont montré que les demandes étaient fortes dans ces deux domaines. La crise sanitaire a montré que le modèle français était très résilient mais qu’il avait aussi des fragilités importantes», note, dans un entretien accordé à Atlantico, Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof.

Dernière entrave à l’entrée dans un monde meilleur: l’écologie. Pensée comme un dogme auquel chacun doit croire, comme une mythologie à laquelle chacun doit appartenir («le temps est venu de l’unité», professe Nicolas Hulot), l’écologie apparaît non comme la première brique d’un projet de société mais comme un facteur de division. La collectivité française comprend les actionnaires de Major qui font leur beurre de l’exploitation des énergies fossiles et de citoyens professant l’interdiction de l’exploitation pétrolière.

NE PAS GASPILLER UNE CRISE

Avec la priorité désormais donnée aux transports doux, cyclistes urbains et commuters condamnés à se déplacer en voiture se livrent une véritable guerre de l’espace urbain. «L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise. Tant mieux, car c’est de cette division que naîtra une clarification de nos objectifs», estime le philosophe Pierre Charbonnier dans une tribune au Monde.

Suggestion acceptée par Bruno Charles. «Il nous faut revenir aux fondamentaux de l’écologie, ceux de la Gueule ouverte ou du Sauvage, et non nous positionner constamment par rapport à ceux d’une social-démocratie dépassée», avance le vice-président écologiste de la Métropole de Lyon. La confrontation politique plutôt que le consensus?

Winston Churchill avait coutume de dire qu’il ne fallait jamais gaspiller une bonne crise. Pour se construire une bonnbe fois pour toute, l’écologie politique à la française saura-t-elle saisir cette chance?

[1] Doté de 50 milliards de dollars, le programme de relance néo-zélandais prévoit la construction d’infrastructures ferroviaires, cyclistes et la création de 11.000 emplois verts

Journal de l’Environnement/19 mai

photo : Comme la réflexion écologique, les négociations climatiques sont interrompues.
VLDT