François Moutou sur Le Grand Continent – « du virus à l’homme, pourquoi? – et dans L’Ecologiste printemps 2020 – « La vengeance du pangolin ? »

François Moutou intervient deux fois ce mois ci à propos du Coronavirus : dans l’Ecologiste du printemps et sur le site Grand Continent. Voir ci-dessous

Le Grand Continent

La crise du coronavirus nous rappelle brutalement que nous vivons au milieu d’autres espèces. Dans cette discussion ouverte avec le vétérinaire et épidémiologiste François Moutou et l’anthropologue Frédéric Keck, nous tentons de comprendre les causes de la pandémie et d’analyser ses effets sur notre rapport aux autres être vivants.

De ces réflexions, des réponses peuvent émerger sur la meilleure manière de prévenir ces phénomènes.

François Moutou, en 2007, vous avez intitulé un de vos livres La Vengeance de la civette masquée, pourrait-on aujourd’hui parler de La vengeance des pangolins  ?

C’est évidemment un mot totalement humain et humanisé, qui n’a rien à voir avec le point de vue de la civette ou du pangolin. J’avais écrit ce livre peu de temps après l’épidémie de SRAS, qui avait eu lieu en 2002-2003, à l’occasion de laquelle j’avais participé à un programme européen de recherche avec les Chinois pendant trois ans. L’animal qui avait semblé être la cause de la contamination par les humains est la civette palmiste masquée. Ayant été un lecteur de Pilote dans mon adolescence, je me suis souvenu des Aventures potagères du concombre masqué. Puisque mon livre racontait des histoires de relations humains-animaux à travers des agents pathogènes, j’ai trouvé ce petit jeu de mots. C’était un clin d’œil à mon histoire personnelle avec Pilote et au nom curieux de cette civette.

Dans le cas du nouveau coronavirus, on ne peut pas encore confirmer que le pangolin soit vraiment la source qui ait transmis le virus, lequel viendrait sans doute, à l’origine, des chauves-souris. Mais c’est vrai que les pangolins recouvrent un ensemble de huit espèces — quatre en Afrique et quatre en Asie — qui sont braconnées à grande échelle, essentiellement à destination du marché chinois pour deux raisons : une raison alimentaire et une raison culturelle. Comme souvent avec la consommation d’animaux en Chine, ces deux motifs se confondent. Dans le cas du pangolin, on consomme sa viande mais on réduit aussi ses écailles en poudre pour leurs vertus soi-disant curatives. Cela donne lieu à un trafic d’autant plus éhonté que la Chine a signé toutes les conventions internationales de protection des espèces menacées. Pour vous donner un exemple, on a saisi récemment trente et une tonnes d’écailles, ce qui correspondrait à quarante mille pangolins braconnés (pour un montant estimé de 90 millions de US$).

Quoi qu’il en soit, en mars 2019, les autorités chinoises ont saisi des pangolins asiatiques, que des virologues ont récupérés pour y chercher les virus que l’on pouvait y trouver. Ils ont publié en octobre 2019 tous les virus qu’ils avaient identifiés, parmi lesquels des coronavirus très proches de ceux que l’on a isolés, à partir de décembre 2019, chez les personnes qui avaient traversé ce fameux marché de Wuhan. C’est pour cela que l’on a parlé des pangolins : il y a une concordance virologique entre les virus trouvés chez eux, indépendamment de la crise actuelle, et l’épisode qui a démarré en décembre.

Est-ce suffisant pour établir que c’est l’animal qui a franchi la barrière des espèces ? Peut-être. Mais sur ces marchés, d’autres scénarios sont possibles. On y trouve des piles de caisses, qui contiennent chacune un groupe d’animaux d’espèces différentes ; or, si l’on voulait tester les possibilités de transmission de virus d’une espèce animale à une autre ou d’une espèce animale à l’espèce humaine, on ne s’y prendrait pas autrement ! Pour autant, malgré ces conditions virales dramatiques, nous n’avons connu depuis le début du XXIe siècle que deux échappements de virus : le SRAS en 2002 et le SRAS-2 en 2019. En d’autres termes, la barrière des espèces est rarement franchie, si l’on considère les tonnes d’animaux qui transitent et sont manipulés sur ces marchés.

Ceci étant dit, même si le pangolin n’a pas calculé sa vengeance, la crise actuelle lui profite puisqu’elle a apparemment fait chuter sa consommation…. »

Voir interview complète sur le site Le Grand Continent

 

L’Ecologiste, printemps 2020

 

 

FRANÇOIS MOUTOU

François Moutou est docteur vétérinaire, épidémiologiste et ancien directeur-adjoint du laboratoire santé animale de l’Anses, Maisons-Alfort. Il est l’auteur de La vengeance de la civette masquée (2007), nouvelle édition Des épidémies, des animaux et des hommes (2015), Le Pommier, Paris.