Les Etats européens ne parviennent pas à supprimer la surpêche

Au terme d’une nuit de négociations, des mesures protectrices ont été prises pour certaines espèces menacées, mais elles ne suffiront pas à assurer le renouvellement de tous les stocks de poissons.

Démarrage mitigé pour Virginijus Sinkevicius, le commissaire à l’environnement, aux océans et à la pêche. Alors qu’Ursula von der Leyen, la présidente de l’exécutif européen, veut faire du « green deal » sa priorité, le jeune Lituanien n’a pas imprimé la marque de cette ambition sur la politique commune de la pêche, à l’heure où il s’agissait de définir les quotas en Atlantique et en mer du Nord.

Mercredi 18 décembre au petit matin, la réunion des ministres de la pêche des vingt-huit Etats membres a en effet consacré, après une nuit de négociations, l’incapacité de l’Europe à atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés pour 2020. A savoir, qu’il ne soit plus possible, à cette échéance, de pêcher des poissons au-delà d’une certaine quantité, et ce, afin de préserver les ressources maritimes.

En Atlantique et en mer du Nord, pour environ 35 % des espèces spécifiques dans une zone donnée, il y aura encore surpêche l’an prochain, et les stocks de poissons concernés baisseront. En 2019, ce pourcentage était d’environ 40 %. « La surpêche en 2020 est illégale. Malheureusement, les ministres de la pêche ont choisi de ne pas respecter le droit de l’UE », a déclaré Pascale Moehrle, directrice exécutive de l’ONG Oceana en Europe.

La Commission, elle, préfère parler en volume, c’est-à-dire sans différencier les espèces et les zones. Dans ce cas, en 2020, plus de 95 % des stocks de poissons seront assurés d’être régénérés. Mais cette moyenne est tirée à la hausse par des stocks de harengs ou de maquereaux par exemple, qui ne sont pas menacés et représentent des dizaines de milliers de tonnes, quand d’autres espèces menacées ne représentent plus que quelques tonnes.

« Tous sur le même poisson »

Pour la Baltique non plus, à laquelle avait été consacré un conseil des ministres en octobre, l’Europe n’est pas parvenue à prendre les décisions nécessaires pour garantir la biodiversité. Et même si le Conseil a pris certaines mesures fortes, notamment sur le cabillaud, seuls 70 % des stocks sont assurés de pouvoir se reconstituer.

Pour comprendre d’où viennent ces décisions, il faut s’arrêter sur la manière dont elles sont prises. Chaque année, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), qui regroupe des scientifiques d’une vingtaine de pays, dont la France, évalue les quantités de poissons, espèce par espèce et zone par zone. Les experts font ensuite des recommandations : à chacun de ces lots – par exemple la langoustine dans le golfe de Gascogne – correspond un niveau de pêche au-delà duquel l’espèce en question ne peut pas se renouveler : le « rendement maximal durable ».

Sur cette base, la Commission fait ensuite ses propositions et les Etats membres négocient, en ayant également à cœur de protéger leur secteur de la pêche. Ils définissent donc, pour chacun des lots concernés, des « limites de capture annuelles », qui sont ensuite réparties entre eux. « Ces négociations sont très compliquées, explique un diplomate, on est tous sur le même poisson. »

En 2013, les Etats membres étaient convenus que tous les stocks seraient au « rendement maximal durable » en 2020. Ils ont incontestablement pu améliorer la situation dans certains cas. Ainsi, comme le rappelle Virginijus Sinkevicius, « pour le bar en mer du Nord, les mesures que nous avons prises depuis 2015 ont permis d’en ramener les stocks au niveau du rendement maximum durable ».

Mais, comme l’explique un haut fonctionnaire européen, « deux grands principes régissent la politique commune de la pêche : la reconstitution des stocks et aussi le bon fonctionnement du secteur économique de la pêche ». Or, lorsqu’une espèce est menacée, ces deux objectifs peuvent être inconciliables. D’autant que, dans certains cas, les pêcheurs d’une espèce en prennent d’autres dans leurs filets.

Les quotas, un outil « pas suffisant »

Par exemple, les pêcheurs d’églefins en mer Celtique, l’une des espèces qui ne sont pas menacées, remontent aussi des cabillauds ou des merlans, qui, dans cette zone, sont en danger. Conséquence, si on interdit la pêche de cabillaud ou de merlan, on interdit de fait celle d’églefin. C’est aussi inacceptable pour les Irlandais qui ramassent du merlan que pour les Français qui sont plus adeptes de l’églefin.

Mercredi, il a donc été décidé que les pêcheurs d’églefins en mer Celtique ou d’Irlande devraient changer leurs techniques de pêche (type de filets notamment) afin de limiter les dommages collatéraux. Mais qu’ils ne seraient pas pénalisés s’ils remontaient sur leurs bateaux une certaine quantité de cabillauds ou de merlans, alors que le CIEM préconisait l’arrêt de leur pêche.

La mise en place de quotas ne peut donc apporter une réponse totalement satisfaisante. « C’est un outil indispensable, mais pas suffisant », commente Frédéric Le Manach, de l’ONG Bloom, qui prône « des méthodes de pêche sélectives et une véritable approche à l’échelle des écosystèmes».

Cela dit, en mer Méditerranée, qui n’est pas soumise à des quotas, la situation est pire. Mercredi, les Etats membres ont décidé de réduire de 10 % le nombre de jours de pêche qui y sont autorisés. Insuffisant, commentent les ONG, qui, comme Oceania, rappellent que « la puissance motrice réelle de la flotte chalutière est estimée deux ou trois fois supérieure à la puissance déclarée ».

Le Monde, 18 décembre

 

 

 

photo : Un bateau de pêche néerlandais en mer du Nord, le 15 février 2019. EMMANUEL DUNAND / AFP