Les lobbies de la pêche pris la main dans le sac

Les industriels européens qui procèdent au pillage sans merci de toutes les formes de vie marine dans l’océan Indien pour mettre du thon en boîte sur nos étals de supermarchés ne sont définitivement pas des acteurs responsables et dignes de confiance. Qu’il s’agisse de leur impact sur la biodiversité ou sur les processus politiques, leurs pratiques néfastes forment une menace majeure pour la santé de l’océan, pour la transparence et l’équité.

Aujourd’hui, nous vous en donnons la preuve.

D’une part, BLOOM vient de publier un rapport inédit qui retrace, pour la toute première fois, l’histoire du déploiement industriel des navires thoniers du Nord dans les eaux du Sud : un siphonnage méthodique sous perfusion technologique qui pousse les écosystèmes marins au bord du gouffre et met à risque les économies des pays les plus précaires et les plus exposés au changement climatique.

Lire le rapport « La guerre des thons »

D’autre part, BLOOM a pris les lobbies industriels la main dans le sac. C’est rare que ces professionnels de l’influence de l’ombre laissent une trace de leurs actes malhonnêtes, mais cette fois, ils ont commis une erreur, et nous l’avons détectée.

Cette fois, nous disposons du chaînon manquant permettant d’établir la preuve de leur mode opératoire nauséabond.

Une histoire de paradis et d’enfer

L’histoire s’est déroulée le 9 avril dernier, à 8 000 km de la France, aux Seychelles.

Derrière les palmiers, un paradis fiscal. Et derrière le paradis fiscal, l’enfer de la corruption institutionnelle.

L’archipel des Seychelles est un lieu hautement stratégique pour les industriels du thon : ils y ont installé les usines de mise en boîte qui produisent une grande partie des conserves de thon commercialisées en Europe. Ils y ont aussi « repavillonné » de nombreux navires industriels, au grand dam des pêcheurs artisanaux locaux. Changer la localisation des navires leur permet d’échapper à la règlementation et à la fiscalité européennes.

Au « paradis », les lobbies industriels cyniques et irresponsables marchent main dans la main avec les politiciens sans foi ni loi. Le 9 avril, ils nous en donnent une preuve irréfutable.

Ce jour-là, deux documents sont mis en ligne par les Seychelles en vue de la prochaine négociation internationale sur le thon tropical, mais erreur fatale : les industriels européens de la filière « thon » ont oublié d’anonymiser les dernières modifications qu’ils ont faites sur la position officielle des Seychelles ! 

Les lobbies industriels européens écrivent la position des États de façon à ce qu’elle soit entièrement favorable à leurs intérêts. 

Rendez-vous compte.

Capture d’écran d’une des modifications faites par « Europêche Tuna Group » dans le document présentant la position officielle des Seychelles.

Le serpent tient la plume et se mord la queue

Qui est le principal auteur des modifications apportées à ce document officiel censé représenter l’intérêt général des pêcheurs et des citoyens seychellois ? Le lobby industriel représentant les intérêts des thoniers français et espagnols : « Europêche Tuna Group ».

Ce nom vous rappelle-t-il quelque chose ?

Europêche est le puissant groupe de pression des armateurs industriels européens. Il a récemment été épinglé par le think tank indépendant « InfluenceMap » comme l’un des pires lobbies européens pour l’environnement.

« Europêche Tuna Group » est la branche « thon » du lobby Europêche et ce bras thonier est dirigé par… Mme Anne-France Mattlet.

Oui, la personne que BLOOM et l’association Anticor ont signalée au Parquet national financier en novembre dernier et qui fait actuellement l’objet d’une enquête judiciaire pour prise illégale d’intérêts.

Le serpent se mord la queue.

L’ancienne responsable des flottes pêchant le thon en Afrique pour l’administration française dont nous avons révélé qu’elle avait rejoint le lobby Europêche avec toute « l’intelligence » des services publics et les dossiers confidentiels, sans respecter le délai de trois ans prévu par le code pénal —, se trouve de nouveau au cœur d’un scandale de manœuvres antidémocratiques et antiécologiques.

Aux Seychelles comme à Bruxelles, le bien commun piétiné

Inutile de préciser que les associations écologistes, les scientifiques ou les pêcheurs artisans n’ont pas été invités à co-construire la position des Seychelles en vue de la prochaine réunion de la Commission thonière de l’océan Indien. Les lobbies agissent en ligne directe et exclusive, en « co-gestion » avec les autorités publiques, aux Seychelles comme à Bruxelles.

Ces documents constituent des pièces à conviction inestimables du niveau de puissance des lobbies et de leurs relations incestueuses avec les autorités publiques. Cette co-gestion mortifère entre les industriels et les institutions a des conséquences désastreuses sur l’océan, le climat, la biodiversité et la justice économique et sociale.

C’est précisément parce que le politique trahit sa mission de défense de l’intérêt général, c’est parce qu’il ne maintient pas l’étanchéité entre la décision publique et les intérêts financiers des destructeurs du monde que le climat, la biodiversité et l’océan s’effondrent.

L’écologie et la démocratie sont prises dans les mâchoires de la corruption institutionnelle, mais nous ne leur céderons pas un pouce de terrain. 

BLOOM a évidemment porté ces révélations compromettantes, nouvelle preuve de l’influence néfaste des lobbies, à la connaissance des autorités menant l’enquête judiciaire du Parquet national financier.

En moins de cinq mois, depuis novembre dernier, nous avons déjà publié cinq rapports, révélé plusieurs scandales et agi trois fois en justice. Nous étions loin d’imaginer que le thon en boîte qu’on met nonchalamment dans nos salades estivales était associé à autant de délits environnementaux et démocratiques. Mais ce n’est que le début d’une longue série de révélations à venir.

Soutenez notre travail d’enquête et de plaidoyer pour mettre fin au massacre de la vie marine associé aux pêches thonières 

C’est grâce à vous que nous pouvons agir avec un tel niveau de productivité, d’efficacité et d’indépendance. Merci.

La campagne contre la destruction des animaux marins et des économies vivrières d’Afrique ne fait que commencer.