Les nouvelles priorités de la politique mondiale pour sauver la biodiversité en discussion

Protection des coraux et des grands singes, lutte contre la pollution plastique… Les propositions soumises par les membres de l’Union internationale de conservation de la nature témoignent des priorités en matière de protection des écosystèmes.

Protéger les récifs coralliens, combattre le commerce illégal de dents ou de griffes de lions, généraliser les pratiques alternatives à l’utilisation des pesticides de synthèse… La version finale des 128 motions qui seront soumises au vote à l’occasion du congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a été publiée, mardi 1er septembre.

A quatre mois de cet événement prévu début janvier à Marseille, cette liste dresse un état des lieux des priorités en matière de conservation de la nature et doit structurer la politique mondiale sur le sujet.

Les quelque 1 400 membres de l’UICN ont eu quatre mois, de mai à août 2019, pour soumettre leurs propositions. Les motions jugées recevables ont ensuite été ouvertes à une discussion en ligne, de décembre 2019 à mars 2020. « Nous avons reçu 221 propositions, ce qui est un record », se réjouit Sonia Pena Moreno, qui gère le processus des motions au sein du secrétariat de l’UICN.

Ces motions couvrent une grande diversité de sujets : lutte pour la protection d’espèces ou de milieux particuliers (les grands singes, les mangroves, les cours d’eau péruviens des Andes et de l’Amazonie…), réduction de pressions particulières (pollution lumineuse et plastique, produits chimiques…), gouvernance et politique de la conservation (financement de la biodiversité, coopération transfrontalière, reconnaissance des crimes environnementaux comme des infractions graves…), relations entre développement humain et nature…

« Elles attirent l’attention sur certains problèmes urgents en proposant des solutions concrètes et mettent sur la table des questions qui sont encore peu traitées mais seront les enjeux de demain », résume Sébastien Moncorps, le directeur du comité français de l’UICN. Une motion sur la pandémie et ses impacts sur la biodiversité sera également ajoutée à ce corpus d’ici au congrès.

Un tremplin vers la COP15

Si l’essentiel de ces textes sera soumis à un vote électronique, dix-huit d’entre eux seront débattus lors de l’assemblée générale des membres en janvier : il s’agit des propositions que l’UICN considère « d’importance significative », qui n’ont pas abouti à un texte consensuel lors de la discussion en ligne ou qui sont particulièrement controversées, et qui nécessitent donc des discussions plus approfondies.

Parmi celles-ci, plusieurs concernent l’océan, en appelant à une meilleure planification de l’utilisation des espaces maritimes et à un renforcement de la protection des mammifères marins. Des sujets conflictuels en raison de la multiplicité des intérêts en jeu : économiques avec la pêche, commerciaux, géostratégiques… D’autres motions appellent à mieux prendre en compte les liens entre changement climatique et crise de la biodiversité ou à réduire les impacts de l’industrie minière – là encore un sujet à fort enjeu économique.

L’association France nature environnement (FNE) s’inquiète de la présence, dans cette courte liste, d’une motion sur la biologie de synthèse, qui vise à en établir les principes et à créer un cadre de référence. « Le comité d’experts qui travaille sur le sujet est porteur d’intérêts qui ne sont pas neutres, estime son vice-président, Jean-David Abel. Modifier une espèce pour résister à tel champignon parasitaire, c’est bien, mais nous sommes incapables de dire qu’il n’y aura pas d’autres effets non voulus. Il faut discuter de ce sujet mais avec les garde-fous nécessaires. »

L’importance des peuples autochtones et la nécessité de mieux protéger les défenseurs de l’environnement – au moins 212 d’entre eux ont été tués en 2019 – comptent parmi les quatre sujets considérés comme particulièrement stratégiques.

Les deux autres motions font référence à la 15conférence des parties (COP 15) de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Elles appellent à mettre en place un cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 « transformateur et efficace » et à fixer des objectifs de conservation de la nature par zone géographique.

Une première ébauche de texte, qui devrait être adoptée lors de la prochaine COP Biodiversité, prévue en Chine en 2021, prévoit de protéger 30% de la planète des activités humaines d’ici à 2030. « Le congrès de l’UICN doit permettre de renforcer les négociations en vue de la COP, affirme Yann Wehrling, l’ambassadeur français à l’environnement. Il va mettre en lumière les sujets de discussions les plus difficiles et sur lesquels il est nécessaire d’accélérer. »

Une fois adoptées à la majorité, sous forme de résolutions ou de recommandations, les motions n’auront pas de caractère contraignant. Au-delà de leur rôle en vue de la préparation de la COP, quelle influence auront-elles ? Pour tous les acteurs, le travail d’élaboration de ces propositions, qui requiert de bâtir un consensus avec des membres d’aires géographiques variées, constitue déjà une phase particulièrement importante.

« Un espace de dialogue utile et fondamental »

« Ce processus de discussion démocratique est unique, insiste Jon Paul Rodriguez, qui dirige le groupe de travail sur les motions de l’UICN. Il rassemble des Etats, des agences gouvernementales, des ONG, des peuples indigènes… Il n’y a pas d’autre enceinte où petits et grands travaillent côte à côte en ayant quasiment le même poids. Nos membres mettent tout leur cœur dans l’élaboration de ces motions. »

« C’est un espace de dialogue utile et fondamental, confirme Pierre Cannet, le directeur du plaidoyer du WWF France. Au sein des instances onusiennes par exemple, les négociateurs sont des Etats, alors qu’à l’UICN, la société civile et des scientifiques peuvent contribuer aux motions jusqu’au congrès. »

Depuis la première assemblée générale de l’UICN, à Fontainebleau, en 1948, les recommandations adoptées ont conduit à la mise en place de plusieurs conventions internationales, telles la Convention de Ramsar sur les zones humides et la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Elles ont aussi conduit à la définition de certains principes, tel celui des solutions fondées sur la nature (SFN), adopté lors du congrès d’Hawaï en 2016. A Marseille, les forêts anciennes et primaires devraient être à leur tour définies, ce qui permettra de les cartographier et de mettre en place des actions en vue de leur restauration.

« Les motions de l’UICN servent de référence intellectuelle et d’autorité pour le monde de la conservation et permettront de produire des textes juridiques et techniques, explique Aleksandar Rankovic, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Elles représentent, tous les quatre ans, un aggiornamento du logiciel politique de la biodiversité. »

En marge du congrès auront lieu plusieurs sommets dont un « One Planet Summit », rassemblant des dirigeants politiques. L’occasion, pour les Etats, de bâtir des coalitions et d’annoncer des engagements en faveur des sujets qu’ils auront défendus par des motions.

La France, par exemple, porte un texte sur la lutte contre la déforestation importée [déboisement induit par les importations de matières premières]. Elle est le seul pays, avec la Norvège, à avoir adopté une stratégie nationale en la matière. En août, alors que l’Amazonie était de nouveau la proie des flammes, une vingtaine d’ONG dénonçaient toutefois « l’inaction » de Paris. « Cette stratégie bouscule des problématiques lourdes mais d’ici au congrès, nous aurons des choses à annoncer pour montrer que des avancées ont été réalisées », assure, au nom de la France, Yann Wehrling.

Pierre Mouterde/Le Monde/3 septembre

 

photo : Des ibis écarlates dans des marais à mangroves, à l’embouchure de la rivière Calcoene, au nord du Brésil, en avril 2017. RICARDO MORAES / REUTERS