L’hécatombe subie par les baleines grises n’est pas la première mais est la plus inquiétante

Une population de baleines grises subit depuis quelques années une véritable hécatombe. Une nouvelle étude révèle que si ce n’est pas la première, celle-ci est particulièrement inquiétante.

Les baleines grises (Eschrichtius robustus) du nord-est du Pacifique semblent mourir de faim depuis 2019 environ, conduisant à une véritable hécatombe. Une étude parue le 12 octobre 2023 dans la revue Science confirme cette impression. Ces travaux soulignent par ailleurs que depuis les années 80, cette population est soumise à d’importantes fluctuations de décès.

Une baisse de la population de baleines grises cyclique depuis les années 80

En janvier, les premières baleines grises constituant cette population arrivent sur leur site de reproduction au large de l’Etat mexicain de Basse-Californie. Auparavant, en été, ces cétacés se sont établis dans la mer des Tchouktches (océan Arctique), la mer de Béring (océan Pacifique) et dans les autres eaux Arctiques afin de se nourrir. Depuis plus de trois ans, de nombreuses baleines sont retrouvées en mauvaise santé ou même mortes le long des côtes canadiennes, américaines et mexicaines. La cause serait un état nutritionnel médiocre.

Dans cette nouvelle étude, des chercheurs américains révèlent que l’hécatombe qui a débuté en 2019 n’est pas la première. En réalité, il s’agit de la troisième survenue ces 35 dernières années. Durant chacun de ces évènements de forte mortalité, la population de baleine grise peut souffrir d’une réduction de 25% de son effectif en seulement quelques années.

Mais ces cétacés font preuve d’une grande résilience. Déjà, cette population est connue pour s’être rétablie après la chasse commerciale à la baleine. Et après les deux premières hécatombes majeures survenues dans les années 80 et 90, là encore, elles ont rapidement récupéré. Mais l’événement en cours est déjà plus long, et n’est même pas encore terminé.

« Nous sommes désormais en territoire inconnu. Les deux événements précédents, bien qu’importants et dramatiques, n’ont duré que quelques années, explique dans un communiqué Joshua Stewart, auteur principal de l’étude. Le phénomène de mortalité le plus récent a ralenti et certains signes montrent un retournement de situation, mais la population a continué de décliner« .

Comment expliquer ces hécatombes ?

Ces variations seraient causées par des conditions peu favorables à leur survie dans les eaux Arctiques. « Lorsque la disponibilité de leurs proies dans l’Arctique est faible et que les baleines ne peuvent pas atteindre leurs zones d’alimentation à cause de la glace marine, la population de baleines grises subit des chocs rapides et majeurs« , détaille Joshua Stewart. Les hécatombes seraient donc déclenchées par deux facteurs combinés : « la faible biomasse des proies » et « une forte couverture de glace ». L’ensemble conduisant à « des événements de mortalité majeurs, chacun réduisant la population de 15 à 25 %« , souligne l’étude. Malnutris, les cétacés deviennent plus sensibles à leur environnement et finissent par mourir avant même d’atteindre le site de reproduction.

Les chercheurs ont donc découvert que les années avec moins de glace de mer l’été dans les zones de nourrissage des baleines en Arctique, celles-ci trouvaient mieux leur nourriture. Pourtant, la diminution de la couverture de glace favorisée par le changement climatique va poser un problème sur le long terme.

En effet, les petits crustacés nommés amphipodes – les principales proies des baleines grises – sont sensibles à la glace. Ils dépendent des algues poussant dessous et qui leur fournissent des nutriments. Moins de glace signifie donc moins d’algues. Et des eaux plus chaudes favorisent les crustacés plus petits, contenant moins de lipides, qui auront du mal à nourrir ces géantes des mers.

Tous ces facteurs peuvent expliquer pourquoi l’hécatombe actuelle se poursuit. « L’une des raisons pour lesquelles cette situation pourrait s’éterniser est la composante du changement climatique, qui contribue à une tendance à long terme vers des proies de moindre qualité« , prévient Joshua Stewart.

Une population très surveillée

Si les chercheurs peuvent obtenir un tel suivi de cette espèce, c’est parce qu’elle est surveillée de près depuis les années 60. Nombre de cétacés, mortalité, naissance, quantité de graisse accumulée : ces données sont consignées puis étudiées. « Lorsque nous avons commencé à collecter des données sur les baleines grises en 1967, nous étions loin d’imaginer le rôle important qu’elles joueraient dans la compréhension des effets du changement climatique sur une espèce sentinelle emblématique du Pacifique », remarque Dave Weller, co-auteur de l’article.

Source : Sciences et Avenir