Lions, gorilles, girafes… les stars de la faune sauvage disparaissent dans la nature

Des écologues soulignent la perception erronée du public occidental vis-à-vis d’espèces charismatiques et menacées d’extinction.

Lions, gorilles, girafes et autres stars de la faune sauvage sont les mascottes favorites des grandes entreprises et les chouchous des sociétés occidentales. Mais leur popularité ne les empêche pas d’être aujourd’hui menacés d’extinction.

Une réalité largement ignorée du grand public. Car la surreprésentation des animaux charismatiques dans la publicité, le marketing, les produits culturels et les jouets pour enfants a pour effet de tromper les citoyens sur leurs chances de survie à l’état naturel à court terme. C’est ce qu’analyse une étude menée pendant six ans par une équipe d’écologues, de biologistes de la conservation et d’économistes de six pays, publiée le 12 avril dans la revue PLoS Biology.

Ces chercheurs se sont intéressés à la notion d’espèces animales charismatiques, souvent évoquée en biologie de la conservation. Une partie de la communauté scientifique reproche à ces icônes de drainer trop d’attention et de moyens, au détriment d’espèces moins connues mais tout aussi importantes pour la biodiversité.

Les dix animaux les plus populaires

« Je me suis demandé s’il était vrai que les espèces les plus charismatiques bénéficiaient d’un régime de faveur pour la conservation », explique Franck Courchamp, de l’université Paris-Sud et directeur de recherche au CNRS qui a piloté l’étude. Du coup, il a cherché à les identifier de façon incontestable.

Les chercheurs ont donc d’abord établi une méthodologie pour établir la liste des dix animaux les plus populaires. Ils se sont basés sur quatre éléments : une vaste enquête en ligne, un questionnaire distribué à des enfants d’école primaire en France, en Espagne et au Royaume-Uni, les animaux mis en avant sur les sites des zoos des cent plus grandes villes du monde, et ceux présents dans les films d’animation des studios Disney et Pixar.

En pole position arrivent le tigre, le lion et l’éléphant, suivis de la girafe, du léopard, du panda, du guépard, de l’ours polaire, du loup gris et du gorille. Au total, treize espèces figurent dans ce peloton de tête.

Un gorille des montagnes, espèce en grand danger d’extinction, dans le Bwindi National Park près de Kisoro (Ouganda), le 31 mars.

Un gorille des montagnes, espèce en grand danger d’extinction, dans le Bwindi National Park près de Kisoro (Ouganda), le 31 mars. BAZ RATNER / REUTERS

Si la composition de cette liste n’offre pas vraiment de surprise, les chercheurs ont été étonnés de découvrir à quel point nombre de ces animaux sont menacés à l’état sauvage. « On ne s’attendait pas à ce résultat, se souvient Franck Courchamp, puisque l’hypothèse de base était justement que le monde de la conservation s’en occupait un peu trop. D’ici vingt à trente ans, ces espèces auront normalement toutes disparu à l’état sauvage si on continue comme ça, et c’est bien parti pour car leur déclin s’est accéléré ces dernières années. »

Population réelle et population virtuelle

Les auteurs soulignent en outre l’absence de certaines connaissances scientifiques de base concernant ces espèces, en particulier leurs effectifs exacts. Le nombre précis de panthères, d’éléphants ou de gorilles vivant sur Terre est inconnu à ce jour.

Mais le résultat le plus étonnant de l’étude reste sans doute la manière dont le public surestime les populations de ces animaux.

L’exemple de la girafe est le plus frappant. A la question « cette espèce est-elle en danger ? », 60,1 % des personnes interrogées ont répondu non, alors que selon les espèces, les populations de girafes ont diminué de 52 % à 97 % ces trente-cinq dernières années.

Figure emblématique du règne animal, le lion est dans une situation similaire, avec 57,8 % de mauvaises réponses le concernant. Certains modèles mathématiques pronostiquent en fait son extinction dans les vingt ans à venir, en raison notamment de la chasse au trophée et de la fragmentation de son territoire.

Pour expliquer ce hiatus entre les faibles chances de survie à court terme de ces espèces et la perception qu’en a le grand public, les chercheurs émettent l’hypothèse d’une concurrence entre population réelle de ces animaux et « population virtuelle ». Cette dernière serait liée à l’abondance d’images reçues au quotidien par les Occidentaux. Toutes ces représentations d’éléphants, de gorilles ou d’autre stars de la faune sauvage engendreraient un biais psychologique chez le grand public, induisant une vision erronée de la triste réalité. L’étude indique par exemple qu’une personne vivant en France voit en moyenne deux à trois fois plus d’images de lions en un an qu’il en reste dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Un copyright pour les espèces menacées

Il y aurait urgence à agir car certains de ces animaux emblématiques sont des « espèces parapluie » : protéger les grands carnivores implique de préserver leurs territoires et leurs proies, ce qui bénéficie à d’autres espèces. Or, « sans le savoir, les entreprises utilisant girafes, guépards et autres ours polaires à des fins marketing contribueraient à fausser la perspective du public sur les risques d’extinction et donc à freiner le soutien à la conservation de ces espèces », estime Franck Courchamp.

Pour compenser cet effet pervers, les chercheurs proposent que les entreprises qui utilisent des images d’espèces menacées dans une optique marketing payent une sorte de copyright, en reversant une partie de leurs bénéfices à des organismes ou des fonds chargés de leur préservation, et en participant à des campagnes d’information.

« C’est dans leur intérêt, car si les animaux qu’elles utilisent pour leur logos disparaissent, elles en pâtiront. Elles ont tout à gagner à participer à leur protection, souligne Franck Courchamp. Si on ne parvient pas à sauver le lion, qui est le roi des animaux, comment peut-on espérer aller sauver un iguane dans les Galapagos ou une plante sur une île de Sumatra que personne ne connaît ? »

par Anne Mellier/Le Monde 12/04/2018

photo : Un lion dans le parc Kruger, en Afrique du Sud. TONINO DE MARCO / BIOSPHOTO