Mohair : des bêtes et des brutes

  • Des chèvres angoras au Lesotho. (Photo Arterra. UIG via Getty Images)

La diffusion d’une vidéo montrant des chèvres angoras maltraitées a amené des géants du prêt-à-porter à promettre la fin du mohair. Une polémique qui en rappelle d’autres.

Peta sait taper fort. Pour preuve : la dernière vidéo choc en date que l’association américaine «pour une éthique dans le traitement des animaux» a dévoilée mardi dernier sur son site internet : des dizaines de chèvres angoras gémissant de douleur, traînées par les cornes et la queue, suspendues la tête à l’envers, tondues pour leur laine, puis égorgées ou électrocutées si jugées pas assez rentables (c’est-à-dire pas assez fournies en laine). Selon l’association, les images ont été filmées en janvier et février dans douze élevages d’Afrique du Sud, pays d’où provient plus de la moitié du mohair vendu dans le monde, la laine fabriquée à partir de la toison de la chèvre angora.

La vidéo a fait son effet : deux jours plus tard, H&M, Gap, Zara et Topshop ont affirmé «prendre la question du bien-être animal très au sérieux»et annoncé vouloir bannir la laine mohair avant 2020. Le géant suédois a tenu à préciser que cette douce fibre ne représente que 0,044 % de celles utilisées pour ses collections. De son côté, le groupe Inditex – propriétaire de Zara, Pull & Bear, Oysho et Bershka – a assuré que le mohair ne concernait qu’un «petit nombre de produits» et que le groupe n’avait pas de «preuves de l’existence de faits semblables dans les élevages auprès desquels s’approvisionnent ses fournisseurs». Connus pour infiltrer clandestinement, à travers le monde, les élevages d’animaux à destination du prêt-à-porter, les membres de Peta «se réjouissent de cette avancée». Mais au-delà des cris d’orfraie, idéaux pour redorer leur blason, les marques sont-elles vraiment prêtes à abandonner des matières au nom du bien-être animal ?

Alligators, pythons, kangourous…
Les peaux exotiques, péché de l’Hexagone

Full Frame Shot Of Crocodile

Topshop, Adidas et Victoria’s Secret se sont prononcés contre les peaux et plumes exotiques, mais se retrouvent bien seuls. Autruches, pythons, alligators, requins, kangourous : les grandes marques se les arrachent. Les maisons de luxe françaises ont même choisi de racheter les fermes d’élevage pour sécuriser leur approvisionnement. Hermès et LVMH, les deux fleurons de la maroquinerie française, ont racheté une grande partie des pôles de tannerie des Etats-Unis, d’Australie et du Vietnam. Non sans polémique. En 2015 éclate l’affaire «Birkin» du côté d’Hermès : en réaction à certaines «pratiques cruelles d’abattage» filmées clandestinement dans un élevage de crocodiles du Zimbabwe (fournisseur de la marque), l’actrice réclame que le fameux sac en croco ne porte plus son nom. En 2016, les abattoirs vietnamiens qui fournissent LVMH sont eux aussi vivement critiqués pour le traitement infligé aux reptiles. «Les atrocités commises dans des exploitations légales ne sont malheureusement pas le seul problème, alerte la présidente de One Voice, Muriel Arnal. La vente illégale de peaux exotiques est endémique. La réglementation est défaillante et l’étiquetage trompeur. Toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement manquent de transparence.» Autre problématique de la filière : le marché noir. Il y a bien une convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, signé par 150 pays, qui garantit (en théorie) la survie des anacondas, crocodiles et autres espèces menacées (lézards, iguanes…). Mais l’association Peta estime que pour chaque animal tué légalement sur le marché des «peaux exotiques», un second est braconné dans son habitat naturel.

Renards, chiens viverrins, castors, chinchillas…
La fourrure en voie de disparition ?

Gucci, Armani, Versace, Hugo Boss, Furla, Calvin Klein, Ralph Lauren, Michael Kors, mais aussi Lacoste, Esprit, Zara ou la Redoute : depuis deux ans, du luxe à la fast fashion, une série de marques se convertissent au fur-free (sans fourrure). Certaines se sont même engagées à respecter un label créé par la Fur Free Alliance, une coalition internationale de plus de 40 associations de défense des animaux prêtes à en découdre avec ce «matériau archaïque». Autant d’annonces accueillies comme une victoire cruciale dans la disparition des poils de bêtes sur le marché de la mode. «Si la fourrure perd si vite du terrain, c’est parce que les petites marques suivent la cadence imposée par les grandes maisons qui se sont enfin réveillées, analyse Anissa Putois, chargée de campagne pour l’association Peta, poids lourd international en matière de défense des animaux. Il semblerait que la vraie fourrure soit en voie de disparition.» Pourtant, chaque année encore, 45 millions d’animaux (renards, chiens viverrins, castors, chinchillas…) seraient tués pour leurs pelages et les 40 milliards de bénéfice afférents, selon les derniers chiffres de la Fédération internationale du commerce de la fourrure (IFTF). En France, 150 000 visons seraient légalement tués chaque année – une dizaine de pays européens ont banni cette pratique, cinq autres sont en voie de l’interdire. D’après les chiffres de l’association L 214, ces animaux sont, dans 85 % des cas, tués par gazage, électrocution ou empoisonnement. «On remporte beaucoup de batailles ces temps-ci, mais le combat antifourrure est loin d’être gagné, nuance la présidente de l’association One Voice, Muriel Arnal. Dans notre pays, la fourrure reste un symbole de luxe et encourage le marché asiatique, numéro 1 du secteur, et la Russie, à faire survivre cette industrie. Tant que les grands couturiers français utiliseront des poils d’animaux dans leurs défilés, la mode de la fourrure continuera de perdurer à travers le monde.»

Vaches, veaux, chevaux, agneaux, chèvres…
Le cuir a la peau dure

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Difficile pour les anticuir de se faire entendre tant cette matière rare attise le désir des élites du secteur. Quelques grands noms de la mode (Stella McCartney et Lola Lempicka en tête) se sont engagés à ne plus travailler cette matière, mais l’emballement pour le cuir ne faiblit pas, bien au contraire : le marché des peaux est tendu par manque de premier choix, la préciosité du produit le rend encore plus convoité. A l’international, la filière a encore renforcé ses exportations de 7 % l’année dernière. Selon Peta, plus d’un milliard d’animaux à travers le monde (vaches, veaux, chevaux, agneaux, chèvres, cochons mais aussi chiens et chats) sont élevés puis tués pour le commerce du cuir chaque année. «La plupart des gens ne se verraient pas porter de la vraie fourrure mais ne voient pas le problème du cuir car le lien avec l’animal ne se fait pas automatiquement, se désole la chargée de campagne de Peta, Anissa Putois. Vous n’y pensez peut-être pas, mais chaque fois que vous portez une ceinture, une veste ou une paire de chaussures en cuir, vous portez la peau d’un animal qui a énormément souffert. L’usage du cuir est principalement dû à une ignorance des réelles conditions de sa production.» Les associations dénoncent depuis plusieurs années des faits de surpopulation, marquage au fer, caudectomie (coupe de queue), écornage, égorgement, dépeçage vivant. Il existe pourtant d’autres alternatives au cuir : le Piñatex, un «cuir végétal» fabriqué à partir de la fibre d’ananas, mis au point par la créatrice Carmen Hijosa et timidement utilisé par les marques Puma et Camper ; le Muskin, un cuir de champignon conçu par l’entreprise italienne Grado Zero Espace ; ou encore le cuir d’hévéa, une espèce d’arbres qui produisent du latex.

Lapins angoras
Le supplice de l’épilation

All natural fiber for spinning into yarn

Le scandale éclate en 2013 après la diffusion d’une vidéo de Peta sur les réseaux sociaux. Infiltrés dans des exploitations chinoises, des membres de l’association dévoilent des images de lapins angoras tenus par les pattes, pendus la tête en bas, coincés entre les genoux de l’éleveur, se faire arracher les poils à main nue. «Le poil est plus beau et plus long lorsqu’il est épilé à la racine et non rasé. Après avoir subi cette torture tous les trois mois pendant deux à cinq ans, les lapins sont généralement envoyés à l’abattoir pour être égorgés. L’industrie de l’angora est prête à maltraiter et sacrifier des lapins au nom du profit», dénonce la présidente de One Voice, Muriel Arnal. Le gémissement des bêtes choque l’opinion publique. H&M, Primark et Asos décident aussitôt de suspendre leur production de pulls, chaussettes et écharpes composés d’angora (sans toutefois retirer les produits des rayons). Certains autres fabricants promettent leur retrait du marché asiatique pour se tourner vers la production française, considérée comme plus respectueuse du bien-être des lapins. Mais en automne 2016, des images mises en ligne par One Voice divulguent des scènes d’épilation tout aussi macabres dans les élevages del’Hexagone : 70 grandes marques annoncent quelques mois plus tard l’absence définitive d’angora dans leurs futures collections. Aujourd’hui, ce commerce ne représenterait (plus) que 9 000 tonnes de poils de lapins à l’échelle mondiale. En France, il resterait tout de même une trentaine d’élevages. Le président de l’Union professionnelle des éleveurs de lapins angoras (Utalaf) pointe qu’un «code de bonne conduite» est d’usage mais qu’aucune «législation ne les contraint à administrer aux animaux le lagodendron», un fourrage végétal censé accélérer la chute des poils et réduire la souffrance lors de l’épilation.

Par Anaïs Moran — Libé/7 mai 2018 à 18:06; Photos Getty Images