Pourquoi restons-nous inertes face à l’enjeu de civilisation du changement climatique ?

Le problème majeur du réchauffement climatique est désormais bien connu et les premiers effets de la crise écologique se font déjà sentir. Un changement radical et global n’a jamais été aussi nécessaire, mais les actions que nous mettons en œuvre sont bien loin d’être à la hauteur des enjeux. Comment expliquer ce désintérêt pour une question pourtant cruciale ? Pourquoi détournons-nous le regard devant la catastrophe annoncée et la perspective de l’effondrement ?

Déni et syndrome de l’autruche

Lassitude, fatalisme, apathie, désillusion…? Si les consciences s’éveillent progressivement, la résignation prend souvent le pas sur l’indignation face à la gravité de la crise écologique. Confrontés à l’ampleur et l’imminence de la catastrophe, comment en effet ne pas perdre espoir ? Comment comprendre et analyser les mécanismes de notre cerveau qui nous poussent à accepter et même perpétuer une réalité mortifère ?

Le déni comme mécanisme de survie

En dépit de la clarté des informations scientifiques et de l’unanimité des constats sur nos perspectives d’avenir, notre degré de conscience sur la question de la crise écologique n’est pas à la hauteur des enjeux auxquels elle nous confronte.

Climatoscepticisme, déni actif, partiel ou attentiste… Nous n’agissons que trop peu et préférons bien souvent, que ce soit par crainte ou par confort intellectuel, détourner le regard.

Dans son essai intitulé Le syndrome de l’autruche, le sociologue et philosophe George Marshall analyse les mécanismes par lesquels une partie de notre cerveau préfère en effet nier une information anxiogène et la faire passer au second plan.

Le déni de la réalité de la crise écologique serait en fait une stratégie de survie. Si nous pensions sans cesse à l’effondrement, nous serions tétanisés, paralysés par la peur et le sentiment d’impuissance. Il nous faut donc, pour continuer à vivre dans l’immédiateté, la mettre de côté, quitte à délaisser des enjeux cruciaux à plus long terme.

Les neurosciences nous proposent une autre piste soutenue dans le livre « Le bug humain » de Sébastien Bohler. Si nous détruisons la planète, c’est parce que notre cerveau nous y pousse. Surprenant, non ?
En réalité, le fonctionnement du circuit de la dopamine, qui a permis à notre espèce de traverser les millénaires, en nous poussant à nous reproduire, à nous alimenter, et à rechercher l’information autour de nous, nous conditionne aujourd’hui à nous gaver – de malbouffe, de pornographie, de chaînes d’information et de réseaux sociaux, ce qui contribue à la destruction de notre planète, dans la mesure où ces consommations sont fortement émettrices de gaz à effet de serre.

L’impuissance des lanceurs d’alerte : une parole scientifique largement ignorée

Confrontée quotidiennement à ce déni de grande ampleur, la communauté scientifique fait un constat d’impuissance, alertant sans cesse sur la gravité d’une situation qui ne semble pas évoluer, et ce depuis maintenant 50 ans.

Régulièrement, des dizaines de milliers de scientifiques lancent des appels au changement, comme en 2017, en 2019 ou en avril 2022 où 1 400 scientifiques, climatologues, géographes, sociologues, philosophes, historiens, océanographes, astrophysiciens, mathématiciens et économistes se sont mobilisés, à l’approche des élections présidentielles, sur « l’absence de débat démocratique (…) sur les graves bouleversements en cours et à venir qu’ils concernent le climat, l’océan, la biodiversité ou les pollutions ». En vain.

L’opposition au changement : le silence médiatique et politique

Malgré l’urgence vitale de la situation, le sujet de la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité demeure largement occulté par les médias et absent du débat public. Ou quand il est abordé, il l’est seulement pour se donner bonne conscience ou faire du greenwashing sans mesurer le véritable enjeu de civilisation que nous devons surmonter.

Le silence médiatique

Le dernier rapport du GIEC est alarmant et accablant. Mais dans les médias : rien, ou presque.

Bien souvent, les chaînes télévisées évitent tout simplement le sujet, jugé trop technique et anxiogène. Elles accordent donc davantage d’attention aux enjeux de court terme, retenant plus facilement l’attention immédiate du public et ignorant largement la perspective de long terme que nous impose de prendre en compte l’évolution climatique.

Bien qu’indirectement lié à la crise écologique dont il constitue une des manifestations sensibles, la crise du COVID est ainsi beaucoup plus traitée par les médias que la question plus vaste de la destruction des habitats et du franchissement de la barrière inter-espèces dues à la déforestation et au réchauffement climatique. Nous nous contentons donc d’évoquer le symptôme, refusant de traiter la cause.

De la même manière, le sujet demeure majoritairement absent du débat public, comme le souligne Emma Tosini, porte-parole du mouvement ANV-COP21, à propos des débats présidentiels récents : « Nombre de candidats et candidates se complaisent dans le déni de la crise climatique tandis que de nombreux médias continuent d’invisibiliser les débats autour de l’écologie».

Lors des débats présidentiels, un temps de parole infime a été accordé à la crise climatique, les regards étant majoritairement tournés vers l’Ukraine. Face à ce constat, plus de 150 militants du mouvement Extinction Rébellion se sont rendus le lundi 21 février devant les locaux de France Télévisions, afin d’alerter les rédactions de tous les médias français sur la nécessité de faire de l’urgence climatique une priorité médiatique.

« Nous avons besoin des médias pour ces élections, afin de ne pas laisser les politiques détourner l’attention des citoyen.ne.s au profit de sujets polémiques et racoleurs, reléguant ainsi la survie des espèces, dont la nôtre, au second plan. La jeunesse a besoin d’espoir et réclame de la visibilité en ce qui concerne son avenir. Parce qu’une croissance économique sur une planète aux ressources limitées n’est plus possible, la sobriété nécessaire à l’évolution de nos modes de vie est source de bonheur et de solidarité, ce n’est pas une régression. Nous demandons que les français soient mieux et plus éclairés sur le caractère mortifère du système actuel, liant économie et finance, consommation et destruction du vivant. », expliquaient-ils.

De puissants conflits d’intérêts : l’inertie des pouvoirs publics

Face aux perspectives dramatiques qu’exposent unanimement les rapports scientifiques, la responsabilité des décideurs politiques est capitale. Mais là aussi, déni et inertie sont trop souvent de mise, privilégiant les objectifs de croissance économique, les enjeux de pouvoir et les intérêts privés à ceux de la préservation du Vivant.

« Les pays n’ont pas les mêmes politiques concernant l’adaptation à la crise climatique. Ceux qui sont le plus touchés souhaitent que le langage employé alerte clairement sur la gravité de la crise climatique, tandis que d’autres gouvernements souhaitent que le message soit le plus mou possible pour ne pas avoir à faire de transformations majeures. Le GIEC existe depuis 30 ans, et pourtant aucune politique n’a été mise en place pour prendre le problème au sérieux », explique l’écologue et géographe Wolfgang Cramer, (CNRS/IMBE).
Souvenons-nous de la déclaration de Rajendra Pachauri, Président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 2009 : « Le monde développé n’a vraiment rien fait. Le Protocole de Kyoto est reconnu plutôt par sa violation que par l’adhésion aux limites qui ont été fixées. »
Aujourd’hui, nous sommes dans l’après-Kyoto, et rien n’a vraiment changé. Les sommets sur le climat se suivent et se ressemblent : les dirigeants du monde s’applaudissent, les grands médias nous rassurent et continuent de prôner la croissance infinie dans un monde fini, quoi qu’il en coûte…

En 2021, la France a ainsi été doublement condamnée par la justice pour son inaction climatique, notamment par le Conseil d’Etat, la plus haute instance administrative de notre pays.

Le verdict des scientifiques est sans appel : “ Depuis des décennies, les gouvernements successifs ont été incapables de mettre en place des actions fortes et rapides pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence croît tous les jours. Cette inertie ne peut plus être tolérée (…) Les politiques françaises actuelles en matière climatique et de protection de la biodiversité sont très loin d’être à la hauteur des enjeux et de l’urgence auxquels nous faisons face.”

Nous savons que le temps presse pour entamer la transformation radicale de nos sociétés vers la résilience. Mais notre culture du déni et du délai repousse sans cesse le moment de l’action. Si la prise de conscience ne suffit pas, comment sortir de l’inertie ?
L’information et la sensibilisation semblent cruciales, dès lors qu’elles permettent de déboucher sur la mobilisation et l’action collective, comme le rappellent explicitement les membres du GIEC : « Les choix que nous ferons au cours de la prochaine décennie détermineront notre avenir. Tout retard supplémentaire dans une action mondiale concertée manquera une fenêtre brève et qui se referme rapidement pour assurer un avenir vivable. Pour assurer avec succès notre propre avenir et celui des générations futures, les risques climatiques doivent désormais être pris en compte dans chaque décision et chaque planification politique. Nous avons les connaissances et les outils. Maintenant, c’est à nous de faire notre choix. »

Source : notre-planète.info / 19 mai