Remous dans les forêts solognotes autour de la chasse au blaireau

Dénonçant une « barbarie d’un autre âge », la maire de Valaire (Loir-et-Cher) a pris un arrêté interdisant la vénerie sous terre. Les chasseurs ne l’entendant pas de cette oreille, la bataille est devenue judiciaire, raconte Frédéric Potet dans sa chronique.

Chronique. Dans les premières pages de La Panthère des neiges (Gallimard, 176 pages, 18 euros), prix Renaudot 2019, Sylvain Tesson raconte comment, planqué dans un fossé aux côtés du photographe animalier Vincent Munier, il vécut l’une « des plus belles soirées » de sa vie en observant, au plus près, une famille de blaireaux sortir d’un terrier et se préparer à fureter dans la nuit. Reconnaissable aux bandes noires longitudinales sur sa tête, l’animal n’est pas sans inspirer une certaine sympathie à l’écrivain voyageur.

D’abord parce que Tesson signifie blaireau en vieux français. Ensuite en raison de la mauvaise réputation qui accompagne injustement le mammifère, depuis toujours. « Le blaireau était haï dans les campagnes et irrépressiblement détruit. On l’accusait de fouir le sol, de percer les haies. On l’enfumait, on le crevait. Méritait-il l’acharnement des hommes ? C’était un être taciturne, une bête de la nuit et de la solitude. Il demandait une vie dissimulée, régnait sur l’ombre, ne souffrait pas les visites. Il savait que la paix se défend », écrit-il, au passé.

Les choses n’ont pas vraiment changé pour le mustélidé à pattes courtes, à en croire la maire de Valaire (Loir-et-Cher), un village forestier de 90 habitants situé en bordure de Sologne. Dénonçant une « barbarie d’un autre âge, dégradante pour ceux qui s’y livrent », Catherine Le Troquier a pris en septembre un arrêté municipal interdisant, sur sa commune, la vénerie sous terre du blaireau. Saisi par la préfecture du Loir-et-Cher, le tribunal administratif d’Orléans a suspendu la mesure, fin octobre, au prétexte que les maires n’ont pas ce pouvoir de police en matière de chasse. L’affaire devrait être à nouveau jugée sur le fond, courant 2020.

« Le plaisir de torturer »

Egalement appelée « déterrage », la vénerie sous terre est une technique de chasse à courre séculaire consistant, pour ce qui est du blaireau, à lancer un chien dans son terrier. La proie va alors fuir dans ses galeries avant d’être acculée par son poursuivant. Les jappements de ce dernier sonnent l’hallali. Les chasseurs s’arment de pelles pour creuser une cheminée – de plusieurs mètres de profondeur parfois – puis extraient le blaireau à l’aide d’une pince, spécialement conçue pour cela. Le plantigrade est ensuite tué avec une carabine, quand il n’est pas jeté vivant aux chiens – une pratique interdite par les sociétés de vénerie.

« Ce qui est choquant, c’est le plaisir de torturer et de tuer un animal qui dort tranquillement en famille », s’offusque Catherine Le Troquier. Autant de « cruauté », estime-t-elle, n’existerait pas si le blaireau n’était pas aussi mal-aimé – au point d’être synonyme d’une insulte dans le langage courant, utilisée pour désigner une personne imbécile et bornée. « Il est perçu comme un animal puant et malfaisant alors qu’il n’y a pas plus propre et plus pacifique que lui. Il mériterait d’être mieux connu, au lieu de s’en prendre plein la gueule », ne décolère pas l’élue.

Un lapin mort déposé devant la boîte aux lettres

Son arrêté a provoqué quelques remous dans les forêts solognotes, vouées à la chasse. Des « messages » d’intimidation lui ont même été envoyés, à l’image de ce lapin mort déposé devant sa boîte aux lettres. Le cadavre d’un renard a également été retrouvé à l’entrée du bois communal de Valaire, qu’elle a interdit à la chasse en 2015 ; à ses côtés gisait un Playmobil habillé en lieutenant de louveterie, et amputé d’une jambe.

Si de nombreux soutiens lui sont parvenus de toute la France, aucun maire des communes environnantes n’a toutefois salué son initiative, « sauf officieusement », regrette-t-elle. « On est à quelques mois des municipales, et tout le monde a peur des chasseurs en raison de leur poids électoral. On ferait pourtant mieux de les encourager à troquer leur permis de chasse contre un appareil photo ou une loupe d’entomologiste », lance l’édile, « sans étiquette » mais à forte sensibilité écologique.

« On n’est pas des barbares », se défend Hubert-Louis Vuitton, à la fois président de la Fédération départementale des chasseurs du Loir-et-Cher et président du conseil d’administration de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. D’après lui, le mode opératoire entourant le déterrage du blaireau serait aujourd’hui moins féroce qu’il ne fut : « Des préconisations sont données depuis quatre ou cinq ans par les sociétés de vénerie pour que l’animal soit tué le plus vite possible, au nom d’une chasse propre. »

Nuisances agricoles

C’est parce qu’il occasionne des nuisances agricoles (consommation de céréales, dégâts dans les vignes, affaissement des galeries sous le poids des tracteurs…) que l’omnivore (opportuniste) ne peut échapper à une prédation humaine, juge par ailleurs le plus haut responsable cynégétique de France. « Il suffit qu’un agriculteur nous appelle ou que nous constations nous-mêmes des dégâts pour intervenir. » Cette « gestion de population » s’avère de fait arbitraire, le maître d’équipage décidant lui-même du nombre de blaireaux à tuer dans un terrier.

« C’est absolument scandaleux que des chasseurs veneurs soient à la fois juge et partie », dénonce encore Catherine Le Troquier au milieu de la pièce à tout faire (conseil municipal, mariage, réunions…) de sa petite mairie. En prenant son arrêté frappé d’illégalité, l’élue considère être autant dans son droit que tous les maires ayant interdit l’utilisation de glyphosate sur leur commune, ces derniers mois : « Les mairies ne peuvent plus être de simples boîtes aux lettres ou des machines à tamponner, dont la dernière compétence serait de gérer les emmerdements. Nous demandons à pouvoir proposer de la qualité, et rien ne doit nous interdire d’être plus exigeant que l’Etat sur certains sujets. Quel élu est plus près du patrimoine vivant que le maire d’une commune ? » Epinglé à son écharpe, un badge : « Touche pas à mon blaireau ! »

Frédéric Potet/Le Monde 2 décembre

photo : Autocollant sur un pilier dans une rue de Valaire (Loir-et-Cher), en novembre 2019. FP