Bonne nouvelle pour l’environnement africain : Première Aire marine protégée créée au Cameroun : le Parc national marin de Manyange na Elombo Campo

Dès les années 1990, des programmes régionaux tels ECOFAC (Programme de conservation et utilisation rationnelle des écosystèmes forestiers de l’Afrique centrale), COMIFAC (Commission des Forêts d’Afrique Centrale), le RAPAC (Réseau des aires protégées d’Afrique centrale) ou des ONG comme Tropenbos International ont encouragé les États orientaux du Golfe de Guinée à créer des aires protégées forestières et marines. Au Gabon, les observations naturalistes de Mike Fay et son lobbying auprès du président Omar Bongo ont permis que celui-ci, en 2002, créé 4 parcs nationaux côtiers. Malgré l’excellent travail d’ECOFAC, seuls les parcs nationaux forestiers Obô sur Sao Tomé et sur Principe verront le jour en 2006. La Guinée Equatoriale a renforcé son système national d’aires protégées, et a élaboré en 2014 sa Stratégie Nationale et Plan d’Action sur la Biodiversité (SNPAB). Ce petit pays morcelé compte maintenant 6 aires protégées côtières et insulaires : Annobon, Islas de Corisco, Rio Muni, Playa Nendyi, Punta Llende et Rio Campo. Au Congo Brazzaville, les deux AMPs Conkouati-Douli et Bas Kouilou-Yombo totalisent une superficie de 5 600 km².

Photo 2 : tortue olivâtre femelle repartant après la ponte au niveau du 2e rocher sacré, Manyange, un rocher bizarrement en forme de tortue olivâtre

Jusqu’à présent, le Cameroun possédait 30 aires protégées forestières (20 parcs nationaux, 6 réserves de faune, 4 sanctuaires de faune) pour une superficie totale de 3 825 km², 3 réserves de Biosphère, et 7 sites Ramsar pour 8 270 km². Mais le Cameroun n’avait aucune aire marine protégée, même si le Parc national de Douala-Edea (ancienne réserve de Faune) s’ouvre sur l’océan.

Lors du Ve Congrès mondial des parcs de l’UICN à Durban, en septembre 2003, le président de la République du Cameroun, Son Excellence Paul Biya, avait annoncé souhaiter des aires marines protégées pour son pays. Nous sommes fin 2021. Mais avant cette annonce, nous avions déjà élaboré en 2002 un dossier pour la création d’un parc marin au sud de la petite ville de Kribi (département de l’Océan) jusqu’à la frontière avec la Guinée Équatoriale. Il aura donc fallu près de 20 ans de combats contre l’inertie administrative et des lobbies divers pour que notre dossier aboutisse enfin aujourd’hui à la signature du décret de classement du Parc national marin de Manyange na Elombo Campo.

Le suivi des Cétacés dans la région concernée reste encore fragmentaire. Les premières observations au large ont cependant montré la présence saisonnière ou permanente de la Baleine à bosse (Megaptera novaeangliae) (10% de la population mondiale cette espèce s’accouple et met bas entre Cameroun et Gabon), du Dauphin à long bec (Delphinus capensis), du Dauphin à gros nez (Tursiops truncatus), du Dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba), du Dauphin taché pantropical (S. attenuata). La Sotalie du Cameroun (Sousa teuszii), espèce vulnérable qui avait disparu du golfe de Guinée depuis 1892, a été observée à plusieurs reprises dans le périmètre du parc marin, et cette présence motiverait à elle seule la création de l’aire marine protégée camerounaise.

Certes la décision politique de création d’un port en eau profonde à Kribi dans la partie nord du futur parc a amputé celui-ci d’un bon tiers de sa superficie prévue initialement. On peut penser difficile de concilier ce port commercial, l’un des plus grands d’Afrique, avec une aire marine protégée et la présence de Cétacés, mais avec l’adoption de certaines règles de circulation des bateaux et d’une vraie politique environnementale, ça devait être possible.

La motivation première de création d’un parc marin à cet endroit a été la présence des tortues marines. Les très belles plages ne sont pas un lieu de nidification régional exceptionnel pour la Tortue olivâtre

photo 4 : tortue olivâtre

(Lepidochelys olivacea), la Tortue verte (Chelonia mydas) et la Luth (Dermochelys coriacea). La viande des femelles montant à terre était traditionnellement mangée. Ce qui est plus intéressant, c’est que les amas rocheux littoraux couverts de Phanérogames et les zones coraliennes soient des habitats de croissance exceptionnels pour les jeunes Tortues vertes et Tortues imbriquées (Eretmochelys imbricata) nées sur les plages insulaires de Bioko et Sao Tomé et Principe.

Si la partie marine est importante quant à sa diversité biologique, les plages, les estuaires, les mangroves, les lagunes, les marais, les forêts inondés qui sont intégrés dans la partie terrestre du parc marin sont riches du Lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis), d’une dizaine de Primates, de la Grenouille Goliath (Conraua goliath), du Crocodile nain (Osteolaemus tetraspis) et de toute une faune vertébrée et invertébrée non encore inventoriée.

Photo 3 : Le Crocodile nain, l’une des espèces phares des forêts marécageuses du parc

Ce parc marin camerounais ne vise pas uniquement à protéger la diversité biologique de cette région. Les populations résidentes, essentiellement de l’ethnie Iyassa (groupe Bantu) et Pygmées Bagyéli devraient, avec cette aire protégée, avoir une meilleure qualité de vie. Une brigade de garde-côtes devrait pouvoir repousser hors de ces eaux les chalutiers industriels qui ont, depuis plusieurs années, appauvri les populations de poissons dont les villageois alimentaient leur famille et avec le fumage du poisson vendu en ville ont des ressources pérennes. Comme partout ailleurs, les jeunes pour leurs études partent en ville et reviennent rarement dans leur village où ils ne trouveront pas de travail, autre que la pêche. Des petits projets d’écotourisme peuvent créer des emplois intéressants. Et le parc aura besoin d’écogardes locaux.

L’idée, maintenant que le classement de ce parc marin est officiel, c’est de le réunir en un ensemble transfrontalier avec deux autres aires protégées, l’une forestière au Cameroun (Parc national de Campo-Ma’an), l’autre, côtière en Guinée Équatoriale, la Reserva natural de Rio Campo.

Jacques Fretey, envoyé spécial

 

Photo 01. Une des plages du parc. Au fond, Elombo, l’un des 2 rochers sacrés Iyassa qui donne son nom au Parc marin.

Photo 02. Tortue olivâtre femelle repartant après la ponte au niveau du 2e rocher sacré, Manyange, un rocher bizarrement en forme de tortue.

Photo 03. Le Crocodile nain, l’une des espèces phares des forêts marécageuses du parc.

Photo 04. La Tortue olivâtre, principale tortue marine nidifiant sur les plages de cette région.