Zones d’ombre autour de la disparition du « loup de Valberg »

Trouvé affamé en 2019 dans les Alpes-Maritimes, soigné, et relâché, ce louveteau était le seul de son espèce à porter un collier GPS. Un collier retrouvé au bord d’une route de la Drôme, après un coup de téléphone anonyme.

A la sortie de Plan-de-Baix, dans la Drôme, la D578 passe entre le pré de Michel Castro et la chèvrerie de son neveu, avant de filer vers les falaises du Vercors. C’est ici, accroché à un piquet en bord de route, que le collier GPS du « loup de Valberg », unique loup de France à porter une telle balise, a été retrouvé jeudi 21 janvier. Depuis sa demeure en pierre, juste au-dessus de la route, Michel Castro retrace le fil des événements : « Quand j’ai récupéré le collier, qui était coupé, j’ai téléphoné à l’OFB [Office français de la biodiversité]. Deux heures après, le directeur du service Drôme est arrivé chez moi pour le récupérer, avec des gants. La première chose qu’il m’a dite, c’est que c’était le collier du loup de Valberg. » Le loup de Valberg ? « J’ai découvert à ce moment que ce loup avait une histoire, une belle histoire qui se termine très mal : il est venu jusqu’ici pour mourir chez nous ! », s’émeut Michel Castro.

Cette histoire commence à Valberg, une station de ski des Alpes-Maritimes. En octobre 2019, un louveteau est plusieurs fois aperçu dans les rues du village, affaibli, décharné, infecté par la gale. Filmé par des habitants, il vient se nourrir « dans les gamelles des animaux domestiques », explique l’OFB et « sa distance de fuite est amoindrie ». Pour Thierry Schwab, habitant de la commune et correspondant de l’association écologiste Ferus, seule la détresse d’un louveteau orphelin peut expliquer ce comportement anormal.

Le naturaliste suit de près la meute qui s’est installée depuis quelques années dans les alentours, et qui aurait, selon lui, été décimée en 2019. « En début d’année, deux loups ont été retrouvés morts. Un troisième a été filmé gravement blessé au printemps. L’été, avec les troupeaux sur les alpages, des tirs de défense ont été autorisés : quatre loups ont probablement été tués dans le secteur », pense-t-il, contrairement aux autorités préfectorales, qui ont estimé qu’un lien ne pouvait être établi entre les tirs et le jeune louveteau errant.

Deux apparitions

Selon M. Schwab, les derniers contacts avec cette meute remontent au 3 août 2019, quand deux hurlements sont entendus, ainsi que des jappements de louveteaux. Puis plus rien… jusqu’à l’apparition du petit loup au mois d’octobre. Nourri par des habitants, il est finalement recueilli par l’OFB le 2 novembre. Un fait exceptionnel, très peu de loups ayant été capturés en France – trois loups avaient auparavant été équipés de colliers GPS dans le Mercantour, l’un a disparu, l’autre est mort accidentellement, et le dernier a été tué par un braconnier.

Dans les mois qui suivent, le louveteau de Valberg reprend des forces, soigné et nourri dans un centre de soin tenu secret. En mars 2020, une pétition est lancée par l’association One Voice pour exiger des nouvelles du canidé – elle recueillera plus de 45 600 signatures. Le préfet référent national sur le loup, Jean-Paul Celet, annonce début septembre que l’animal a été relâché en août dans la nature, quelque part dans l’arc alpin. Il est alors « en bonne santé et non imprégné [non influencé] par l’homme », précise le ministère de la transition écologique. Son collier GPS, suivi par l’OFB, permet de retracer « son évolution, d’étudier le processus de recherche d’un territoire pour ce jeune adulte », et « d’intervenir en cas d’interactions négatives avec les activités humaines. Ce qui n’a pas été constaté », affirme le ministère.

Le jeune loup commence alors sa seconde vie, dont on sait peu de choses : ni l’OFB ni le ministère n’ont accepté de communiquer sur son parcours. « Sans doute relâché dans la Drôme », il « est allé en Isère, en Savoie, dans les Hautes-Alpes, puis est revenu dans la Drôme », indiquait, le 19 novembre, le préfet Celet sur France Bleu. Il apparaît d’ailleurs à deux reprises fin octobre et début novembre sur des clichés de pièges photographiques posés par la Fédération départementale des chasseurs de ce département (FDC 26). « Il a été photographié sur le secteur de Plan-de-Baix, en bonne santé, relate Rémi Gandy, président de la FDC 26. A l’époque, la fédération n’a pas communiqué sa localisation précise » – une telle information étant susceptible de mettre sa vie en danger. Puis, plus aucune trace du loup.

Soupçon de braconnage

Autre zone d’ombre : la date à laquelle le collier de l’animal a cessé d’émettre. Fin novembre, Roger Mathieu, référent loup de FNE-AURA (la branche régionale de France nature environnement) et habitant de la Drôme, reçoit un coup de téléphone anonyme. « Un homme m’appelle en numéro masqué et me dit que le loup de Valberg est mort. Que son collier a cessé d’émettre. Il évoque la haute vallée de la Gervanne, autour de la commune de Plan-de-Baix », rapporte-t-il. Le militant associatif transmet l’information à l’OFB début décembre, sans réponse depuis. « Pourquoi l’arrêt brutal des émissions du GPS n’a pas été signalé par l’OFB ? », interroge FNE-AURA.

L’association soupçonne un acte de braconnage. « Si on n’a rien à se reprocher, pourquoi retirer l’antenne du collier, qui permet de tracer ses déplacements, et le déposer anonymement au bord d’une route ? », questionne Roger Mathieu. L’emplacement où il a été trouvé ne serait pas non plus dû au hasard. Anciens bergers, Michel Castro et sa femme Monette ont été de nombreux combats écologistes locaux, s’affichant contre la chasse et adhérant à plusieurs associations de protection de la nature. « Quand le loup est revenu en France par le Mercantour, on a été exprès garder les troupeaux dans les zones où il était présent, pour voir, dit en souriant le retraité. Des bergers qui acceptent de vivre avec le loup… autant dire qu’on est des moutons noirs dans le milieu. »

Le collier GPS, désormais entre les mains de la justice, permettra-t-il d’éclairer le sort du loup de Valberg ? Une enquête a été ouverte sous l’autorité du procureur de Valence, pour « déterminer les conditions de la mort de l’animal », indique la préfecture du Rhône. L’Etat, ainsi que plusieurs associations environnementales, a annoncé leur intention de porter plainte pour destruction d’espèces protégées.

Par Angela Bolis
Le Monde 1er février