Livres naturalistes

Lobo le loup

Qui connaît aujourd’hui Ernest Thompson Seton (1860-1945) ? Artiste, naturaliste, auteur, défenseur des Indiens et de leur mode de vie comme de la nature et de tous ceux qui la peuplent, Seton a eu raison beaucoup trop tôt. Les questions qu’il soulève sont précisément celles qu’en ce début de XXIe siècle certains philosophes, scientifiques ou humains, tout simplement, se posent :

Est-ce que les créatures sauvages n’ont aucun droit, ni droits moraux, ni droits légaux ? Quel droit un homme a-t-il d’infliger une agonie si longue et si horrible à des créatures amies, simplement parce qu’elles n’utilisent pas la même langue que nous ?

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Les textes de Seton n’ont cependant rien de didactique. S’ils ont inspiré à Rudyard Kipling son « Livre de la jungle » et s’ils restent aussi prenants c’est parce qu’ils annoncent Jack London.

À travers des destins individuels, Ernest Thompson Seton brosse le portrait non d’une espèce mais d’un être exceptionnel. Ernest Thompson Seton est indiscutablement le premier écrivain à réussir la synthèse entre histoire naturelle et sens du récit. Nous n’oublierons pas certains de ses héros, Lobo le loup, le Mustang qui tenait l’amble, Tache d’argent, pas plus que nous n’avons oublié Croc-Blanc. Il sera, et pour toujours, le témoin privilégié de ce que les Américains ont appelé « wilderness » puisqu’il assista à sa disparition.

"Ces histoires sont authentiques; Les animaux de ce livre ont tous réellement existé, même si, à plusieurs reprises, je ne me suis pas cantonné à la version stricte d la vérité historiques" ( Ernest T. Seton)

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Extrait: "Currumpaw est une immense étendue de pâturage située au nord du Nouveau-Mexique. C’est une terre de riches herbages où grouillent les troupeaux de moutons et des hordes de bétail, une terre de mesas ininterrompues parcourues d’eaux vives précieuses qui finissent par se rassembler en formant la rivière de Currumpaw, qui a donné son nom à toute la région. Le roi qui en avait pris possession et y exerçait son pouvoir tyrannique était un vieux loup gris.

Le vieux loup gigantesque, que les Mexicains avaient surnommé le roi, était le chef d’une meute exceptionnelle de loups gris, qui ravageaient la vallée de Currumpaw depuis des années. Tous les bergers et tous les vaqueros le connaissaient bien. Lorsque le bétail l’apercevait en compagnie de sa fidèle bande, il était saisi d’une terreur désespérée. Chez les propriétaires la colère et le désespoir régnaient. Géant parmi les loups, le vieux Lobo l’était aussi par sa ruse et sa force. Sa voix, la nuit, était reconnaissable et se distinguait aisément de celle de tous ses compagnons. Un loup ordinaire pouvait hurler la moitié de la nuit aux alentours du bivouac d’un responsable du troupeau. Il ne suscitait qu’une moindre attention. Mais lorsque le grondement grave du vieux roi éclatait, résonnant dans la gorge, le gardien se secouait et s’attendait à découvrir au matin que le troupeau venait juste d’être gravement agressé.

La bande du vieux Lobo était plutôt petite. Je n’en ai jamais vraiment compris la raison. Lorsqu’un loup obtient la position et le pouvoir qu’il avait, il attire normalement de nombreux suiveurs. Il est possible qu’il ait limité volontairement le nombre de ses compagnons. Son tempérament féroce avait aussi pu restreindre la croissance de sa meute. Une chose est certaine, Lobo n’avait plus que cinq vassaux durant la dernière partie de son règne. Chacun d’entre eux, néanmoins, était un loup renommé, la majorité d’entre eux était d’une taille supérieure à la moyenne, l’un d’eux, en particulier, le chef en second, était un véritable géant. Il était pourtant loin d’atteindre la taille de Lobo ou d’égaler ses prouesses. Outre les deux chefs plusieurs loups dans l’équipe étaient spécialement célèbres. L’un d’eux était un splendide loup blanc, que les Mexicains appelaient Blanca, car on pensait qu’il s’agissait d’une femelle, probablement la partenaire de Lobo. Un autre était un loup jaune à la rapidité remarquable. Il avait, à plusieurs reprises, si l’on en croit les récits qui circulaient, capturé pour le groupe une antilocapre.

Il ressort de tout ceci que ces loups étaient extrêmement connus des vaqueros et des bergers. Ils étaient fréquemment aperçus et, plus souvent encore, entendus. Leurs vies étaient donc intimement associées à celles des gardiens de troupeaux, qui les auraient volontiers éliminés. Tous les propriétaires de cheptel de la région de Currumpaw auraient promptement offert une somme équivalente à la valeur de nombreux bœufs en échange de la dépouille de n’importe quel membre de la bande, mais il semblait que leurs vies fussent ensorcelées car ils se jouaient de tous les dispositifs mis en place pour les tuer. Ils narguaient tous les chasseurs, ridiculisaient toute tentative de les empoisonner. Ils continuèrent ainsi, durant au moins cinq ans, à prélever leur dîme sur les éleveurs de Currumpaw. Elle correspondait, aux dires de tous, à une vache par jour. Par conséquent, si l’on s’en tient à cette estimation, la meute avait tué plus de deux mille têtes d’un bétail de premier choix, car, on le savait trop bien, elle sélectionnait à chaque fois la meilleure proie."

Traduit de l'anglais par Bertrand Fillaudeau

Code EAN

9782714311535

Editeur

Date de parution

Tranche d'âge

2016-10-01

Nombre de pages

Collection

240
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