A Hawaï, la prudence est de mise malgré le retour des baleines à bosse

Après trois années de relative absence, ces majestueux cétacés sont revenus en masse dans l’archipel du Pacifique. Mais les scientifiques s’interrogent : fin d’une mauvaise passe ou simple rebond ?

A Maui, l’observation des baleines n’est pas un passe-temps, c’est une industrie. Si la côte Nord de cette petite île de l’archipel d’Hawaï est réservée au surf, la côte Sud est le règne des « whale watching tours ». Et cette année, lors de notre passage en février, les organisateurs de croisières d’observation avaient le sourire. Les baleines à bosse étaient de retour. De la côte et avec une bonne vue (ou une paire de jumelles), on pouvait en distinguer les jets d’eau et les silhouettes. Depuis les bateaux, la majesté et la grâce de ces mastodontes, l’énergie infatigable des petits apprenant à sauter, laissait étourdi. « Deux bonnes années de suite, ça commence à sentir bon », commentait un capitaine sur le port.

Il faut dire qu’Hawaï sortait de trois années de véritable angoisse. De 2016 à 2018, la population de cétacés n’était plus que l’ombre d’elle-même. Les plus jeunes marins tombaient des nues. Les plus anciens redoutaient le retour des vaches maigres. Ils racontaient ces temps anciens, dans les années 1960, où la population totale de baleines à bosse du Pacifique Nord dépassait à peine 1 000 individus. « Les décennies de chasse à la baleine avaient presque éliminé cette population, rappelle le biologiste Ed Lyman, coordinateur pour l’Agence d’observation océanique et atmosphérique américaine (NOAA) des études et actions sur la santé des baleines à bosse dans le sanctuaire marin d’Hawaï. Leur inscription comme espèce protégée, les différentes lois de protection et enfin le moratoire international, entre 1972 et 1986, les ont ressuscitées. Cet animal, c’est une success story de la protection de la nature. »

Les chiffres sont éloquents. Mille individus tentaient de survivre au début des années 1970 ; depuis dix ans, la population flirte avec les 20 000 têtes. L’été, dans les mers du Grand Nord, ces cétacés se gavent de krill, leur menu favori ou, à défaut, de petits crustacés, ou même de petits poissons. L’hiver, ils viennent se reproduire, pour moitié le long de la côte californienne et mexicaine ; l’autre moitié à Hawaï. Plus de 10 000 cétacés croisent donc ici, à portée de vue des visiteurs, de Big Island au sud-ouest de l’archipel, jusqu’au chapelet d’îles qui s’étirent sur 2 000 kilomètres vers le Nord-Ouest.

Tout se passait donc bien, jusqu’à l’année 2015. Cet été-là, une masse d’eau chaude inonde le Pacifique Nord, et plus particulièrement le golfe d’Alaska. L’effet conjugué d’un très fort courant El Nino et de l’oscillation pacifique décennale, concluent les scientifiques. « Cela a privé les baleines d’une partie de leur nourriture et bouleversé leur comportement », explique Sara Woods, responsable des opérations du sanctuaire.

L’hiver suivant, les baleines manquent à l’appel en début de saison. Certaines finissent par pointer leurs fanons un peu plus tard, mais en groupes réduits. Même constat l’année suivante. Puis encore, en 2018. Il faut attendre 2019 pour retrouver une saison correcte, et surtout cette année. « C’est en tout cas ce que nous disent les tour operator, indique Ed Lyman. Nous voulons vérifier et avons donc lancé un grand recensement. » A Big Island, le Hawaian Marine Mammal Consortium a poursuivi les observations visuelles, qu’il entreprend chaque année depuis la côte. Les équipes de Maui, de leur côté, effectuent un comptage à partir de vaisseaux qui couvrent le secteur.

Drone marin

Des méthodes traditionnelles auxquelles s’ajoutent désormais de nouveaux dispositifs, coordonnés par Marc Lammers, le responsable de la recherche du sanctuaire. Un drone marin utilisant l’énergie des vagues pour se déplacer et celle du soleil pour traiter l’information délivre ainsi images et données captées pendant trois mois dans tout l’archipel. Des capteurs ventouses placés sur certains individus permettent d’analyser leurs comportements. Enfin, l’équipe de Maui a disposé des enregistreurs sonores sous-marins et établi une échelle de conversion qui lui permet, grâce à l’intensité des chants des mâles, de déterminer la densité de population.

Pourquoi tant d’efforts ? « Nous voulons savoir si le retour de ces deux dernières années signe la fin d’une mauvaise passe ou un rebond temporaire avant un vrai cycle négatif, explique-t-il. Nous voyons se multiplier les incidents entre baleines et pêcheurs, notamment les enchevêtrements de cétacés dans les mouillages de casiers. Si en plus, les baleines, faute de ressources alimentaires, ou confrontées à l’explosion du trafic maritime sur la côte ouest et au stress associé, avaient désormais besoin de deux ou trois ans pour constituer leurs réserves avant d’effectuer leur voyage vers Hawaï et d’enfanter, quelles seraient les conséquences à long terme ? » A Hawaï, les scientifiques refusent encore de crier victoire.

 

 

 

 

 

photo : Une baleine à bosse, sur la côte de Hawaï. Robert Valarcher / Biosphoto via AFP