Cruelle ironie de l’histoire : c’est le philosophe australien Glenn Albrecht qui a inventé la notion de «solastalgie» pour nommer la nostalgie que nous éprouvons en voyant changer nos paysages familiers à cause des désastres écologiques. C’est « la manifestation du changement climatique sur l’environnement naturel dans lequel vous vivez au quotidien » disait-il à Libé en mai dernier. Et c’est aussi en Australie que se déchaîne actuellement l’un des moteurs les plus puissants de la solastalgie contemporaine : le «mégafeu».

De plus en plus courants – ces derniers mois, ils ont touché le Brésil, la Californie ou l’Indonésie -, ces incendies se caractérisent d’abord par l’immensité des surfaces qu’ils engloutissent. On a compté plus de 80 000 km² calcinés en Australie, bien au-delà des seuils habituellement proposés pour cerner ces phénomènes : 1 000, 10 000 ou même 40 000 hectares selon les auteurs et les régions. Mais plus que la surface brûlée, c’est l’impuissance des humains à les éteindre qui semble le mieux les définir. «On ne peut pas les arrêter», explique Edward Struzik, spécialiste en politiques environnementales à la Queen’s University de Kingston (Ontario, Canada) et auteur du livre Firestorm (Island Press, 2017). «On peut les ralentir, les diriger pour protéger au maximum les habitants. Mais les seules choses qui peuvent les éteindre vraiment sont la pluie, la neige, et un temps plus frais.» Leur ampleur est telle qu’ils sont capables de générer leurs propres phénomènes climatiques, qui aggravent d’autant la situation. «Si on faisait l’hypothèse que nous sommes entrés dans une ère des mégafeux, on pourrait dater son début en 2003, lorsque a été documenté le premier cas d’incendie créant une tornade. C’était lors de feux de brousse près de Canberra», suggère Edward Struzik, rappelant que l’Australie a déjà expérimenté de telles catastrophes naturelles. «Le rêve de maîtrise et d’arraisonnement de la nature se casse les dents sur le mégafeu, qui est totalement incontrôlable et beaucoup plus fort que nous»,dit à Libé la philosophe Joëlle Zask, qui a publié en 2019 Quand la forêt brûle (Premier Parallèle) où elle montre que les mégafeux nous imposent de repenser notre rapport à la nature….

Suite dans Libération 17 janvier