Empêcher les coraux de mourir

La Journée mondiale de l’océan a été l’occasion de sensibiliser à la protection de la biodiversité marine. En première ligne : le corail, qui subit de plein fouet la hausse de la température.

Le rythme s’accélère : 1998, 2002, 2016, 2017, 2020, 2022… La Grande Barrière de corail subit son sixième blanchissement majeur, le quatrième en seulement six ans. Selon un rapport gouvernemental australien publié le mois dernier, 91 % des récifs seraient touchés, un record à cette période de l’année, caractérisée en temps normal par une température plutôt basse des eaux australes et donc une relative bonne santé de l’animal. Car c’est la hausse du mercure que craignent les récifs coralliens : le réchauffement de l’eau dérègle l’écosystème porté par le corail, qui, au-delà d’un certain seuil, blanchit. Si l’épisode de chaleur s’étire plus de trois semaines, la colonie meurt. Les chercheurs attribuent ce désastre écologique aux émissions de CO2 actuelles. « Les effets de nos comportements sont visibles, mais il faut mettre la tête sous l’eau. Les récifs meurent en silence », souligne Denis Allemand, directeur de recherche au Centre scientifique de Monaco. Bien que la Méditerranée abrite quelques espèces de coraux, ce ne sont pas les plus menacés par le stress global du réchauffement climatique. Les premières victimes sont les coraux dits « bâtisseurs de récifs », présents dans les eaux tropicales.

Quelques dixièmes de degré

Quelques heures et quelques dixièmes de degré suffisent pour briser l’équilibre fragile de ces récifs. L’animal entretient une relation dite « de symbiose » avec son environnement, notamment avec certaines microalgues : « La symbiose est intracellulaire, c’est-à-dire que l’algue vit à l’intérieur des cellules du corail. C’est elle qui lui donne sa couleur si particulière », explique Denis Allemand. Sa couleur, mais également sa nourriture : grâce à la photosynthèse, les microalgues alimentent le corail ainsi qu’une partie des animaux et végétaux présents dans l’écosystème.

Lorsque ce dernier est soumis à un stress, tel que l’augmentation des températures ou l’acidification de l’eau, cette symbiose est mise à mal : « Nous ne connaissons aujourd’hui pas tout à fait le mécanisme chimique de ce dérèglement, mais nous observons que la cellule du corail voit l’algue comme un compétiteur et l’expulse en dehors de son système », indique Serge Planes, directeur de recherche au CNRS. Les algues étant reconduites vers la sortie, le corail perd sa couleur ; à travers les tissus devenus transparents, seule la blancheur du squelette subsiste. Cette perte s’accompagne d’une baisse de 90 % des ressources en nourriture de l’animal, qui s’affame. Si la température de l’eau change avant deux à trois semaines, la symbiose peut être rétablie : le corail réintègre l’algue et survit. Si le blanchissement est très inquiétant pour le récif, sa durée signe sa gravité.

Malgré l’Accord de Paris signé en 2015, la planète continue de pâtir d’émissions de gaz à effet de serre toujours plus importantes. « La cause principale du blanchissement, on n’agit pas assez vite et pas assez fort pour l’enlever… regrette Serge Planes. L’autre option, c’est donc de faire des pansements en espérant qu’entre-temps, on va fermer la plaie. » Parmi ces solutions d’urgence, un projet de refroidissement de l’eau mis au point par le chercheur en Polynésie : les climatiseurs dits « SWAC » (Sea Water Air Conditionner), qui s’implantent progressivement dans certaines structures hôtelières, prélèvent de l’eau froide (4 °C) à plusieurs centaines de mètres de la surface et l’utilisent pour refroidir les établissements. L’eau se réchauffe alors jusqu’à 14 °C, suffisamment bas pour être revalorisée – l’équipe de Serge Planes souhaite la reconduire vers des récifs protégés pour y assurer une température viable. Ce projet nommé « Cooling the Reef » devrait voir son prototype fonctionner dès le début de la saison chaude, en novembre 2022, grâce à un partenariat avec un hôtel en Polynésie. « C’est une solution à très petite échelle, sur des zones de 50 m par 50, et qui doit être discrète », reconnaît le chercheur.

Un enjeu de santé publique

Alors que cette équipe tente de réadapter le milieu à l’animal, certains chercheurs tentent l’inverse en rendant le corail plus résilient grâce à l’évolution assistée. « Il s’agit de sélectionner les gènes de résistance de certaines espèces et de former des hybridations pour permettre à l’animal de survivre », explique Serge Planes. Ce procédé est aussi appliqué aux microalgues pour les empêcher de fuir le corail en cas de hausse des températures.

Malgré des résultats prometteurs, Denis Allemand, scientifique à Monaco, reste sceptique sur les délais d’application : « L’augmentation de la température est rapide et mènera inéluctablement au péril des écosystèmes. C’est aujourd’hui pratiquement sûr : nous n’aurons pas le temps de développer toutes ces solutions d’évolution assistée. » Le scientifique tente, lui, de réunir le maximum d’espèces dans une vingtaine d’aquariums-conservatoires à travers le monde : « Nous collectons les espèces, repérons où elles sont implantées, les cultivons, et lorsque les conditions seront à nouveau viables, nous les réintégrerons dans leur milieu naturel. »

Avec 1.500 espèces recensées, cette opération permet de préserver l’animal tout en l’étudiant. Ces conservatoires font gagner du temps aux expériences sur l’évolution assistée et favorisent les recherches médicales. Selon Denis Allemand, la préservation du corail, essentielle à la biodiversité marine, pourrait devenir un enjeu de santé publique : « Les coraux sont un modèle d’études pour des problèmes fondamentaux tels que le vieillissement ou certaines maladies. »

S’assurer du maintien des récifs coralliens répond aujourd’hui à des enjeux de plus en plus pressants, auxquels certaines associations ont décidé de s’attaquer en agissant directement sur les territoires. Parmi elles, Coral Guardian, créée en 2012 par le biologiste et photographe Martin Colognoli. Aujourd’hui implantée en Indonésie et en Espagne, l’association réintroduit du corail dans des zones meurtries, et sensibilise à la préservation de l’écosystème grâce à des conférences, des expositions et propose à des particuliers comme des entreprises de parrainer des récifs.

Agir localement

Bien que la communication autour de la protection de l’animal puisse inciter chacun à réduire ses émissions de CO2, le repeuplement des récifs ravagés est aujourd’hui remis en cause. Ce « bouturage » de l’animal est efficace très rapidement, mais ne garantit pas la préservation du corail à long terme : « Nous pouvons replanter autant que l’on veut, tant que la cause subsiste, c’est-à-dire, le plus souvent, le réchauffement climatique, l’animal ne survivra pas », explique Serge Planes.

L’association insiste cependant sur la puissance de cette méthode comme outil de sensibilisation : « Nous faisons de la restauration de corail à titre pédagogique : c’est un outil très fort, qui permet d’impliquer les pécheurs et les habitants de la côte », explique le cofondateur. Cette collaboration avec la population locale permet également de tenter de réduire les stress locaux tels que la surpêche ou le tourisme, qui se cumulent bien souvent au réchauffement climatique.