« Inscrire la préservation de la biodiversité dans la Constitution est discutable »

Alors qu’Emmanuel Macron s’est engagé à organiser un référendum pour intégrer la protection de l’environnement à l’article premier de la Constitution, le professeur de géographie Laurent Simon estime, dans une tribune au « Monde, la mesure irréaliste voire dangereuse.

Tribune.

En mars 2018, Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique et solidaire, déclarait à l’Assemblée nationale : « La biodiversité, tout le monde s’en fiche. 

»Deux ans et demi plus tard, il est fortement question de l’introduire à l’article premier de la Constitution : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique. »

Un tel chemin témoigne incontestablement d’une prise de conscience dont on ne peut que se féliciter vu l’ampleur des défis face au déclin toujours accéléré de la biodiversité. Faut-il pour autant se réjouir d’une telle perspective ? Trois réflexions nous conduisent à en douter.

Garantir la préservation de la biodiversité suppose d’être en mesure de l’évaluer de manière incontestable pour attester d’une possible diminution. Or, une telle évaluation est non seulement très difficile, pour ne pas dire impossible (aucun indicateur ne permet de quantifier l’ensemble de la biodiversité), mais elle est en outre dangereuse car elle envisage la biodiversité comme un état, un stock à conserver, une liste à préserver alors qu’il s’agit de bien autre chose.

La diversité du vivant, c’est d’abord et avant tout une création continue, un faisceau d’interactions éminemment complexes. Dès lors, vouloir la préserver revient à la figer au travers de listes, d’indicateurs bien pauvres au regard de cette dynamique créative.

Bien des hauts lieux de biodiversité actuels sont le fruit d’interventions humaines passées qui ont, au départ, porté atteinte à la biodiversité : l’un des plus grands sites protégés par la convention relative aux zones humides d’importance internationale (dite convention de Ramsar), le lac du Der-Chantecoq, en Champagne, est un lac artificiel ; les hautes chaumes des Vosges sont le fruit du déboisement ; les mosaïques méditerranéennes, le fruit de la mise en valeur agricole.

La dynamique du vivant n’est pas linéaire. Ne l’envisager que sous l’angle de la préservation, c’est en réduire la part créative et incertaine…

Droit fictif

L’inscription dans la Constitution est-elle bien pertinente et constitue-t-elle, comme le pense Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, « un acquis que l’on n’éliminera pas » ? Là encore, rien n’est moins sûr.

« Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe et fausse », disait le journaliste et essayiste H. L. Mencken (1880-1956). C’est bien le cas ici. Car, si l’article 1 tel que proposé est appliqué, alors c’en est fini de tout projet d’aménagement, de toute infrastructure (au motif qu’ils porteront inévitablement atteinte à la biodiversité). C’est par exemple rendre impossible tous les efforts entrepris en faveur de la transition énergétique fondés sur les énergies renouvelables : les éoliennes mais aussi les parcs photovoltaïques ont des impacts sur la biodiversité. Au titre de l’article 1, il faudrait y renoncer.

On aboutit ainsi à un droit fictif (car inapplicable), source de conflits, de ressentiments et possédant la même efficacité que les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme pour protéger les migrants en Méditerranée. L’acquis risque bien d’être provisoire, le jour où ces contradictions deviendront trop évidentes.

C’est enfin penser qu’une solution venue « d’en haut », émanant d’un Etat tout-puissant, capable de gouverner le vivant, soit une bonne chose. Cet Etat-là n’existe pas (pas encore du moins)… et fort heureusement.

La prise en charge du vivant, de sa dynamique, de sa puissance créative doit bien davantage s’appuyer sur les collectifs, les associations, les gestionnaires qui œuvrent au quotidien, dans des contextes chaque fois particuliers. Ces collectifs sont « la nature qui se défend », comme l’ont exprimé les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Une nature au plus près de sociétés humaines qui, si elles ont souvent détruit, sont aussi capables de trésors d’initiatives et d’engagements à condition de ne pas les corseter dans un futur fait de contraintes.

S’il est indispensable que le droit nous rappelle les règles du vivre-ensemble, inscrire la préservation de la biodiversité dans la Constitution est singulièrement réducteur et potentiellement dangereux.

Laurent Simon, professeur de géographie physique, humaine, économique et régionale à l’université Paris-I, est codirecteur du master « bioterre ». Il a été directeur de l’UFR de géographie de l’université de Paris-I. Il participe à plusieurs programmes de recherche sur la biodiversité. Il est l’auteur d’une trentaine de publications sur les questions de biodiversité depuis 2010.

Par Laurent Simon
Le Monde